jeudi 13 novembre 2008

Hollande - Ile de Texel, fin août 2008. Stage de parachutisme.







Article en préparation

La diffusion de la communauté anabaptiste mennonite en France - XVIIe-XXe siècles
Une étude de la diffusion des patronymes mennonites à partir du fichier INSEE,
des sources généalogiques et de la base de données des soldats morts pour la France en 1914-1918
par Frédéric Schwindt


Introduction : Un « peuple » qui s’intègre à la France.
1 – Les fichiers et les bases de données en ligne.
1.1 – Les fichiers patronymiques de l’INSEE.
1.2 – Les bases de données généalogiques.
1.3 – « Mémoire des hommes » : les soldats morts pour la France en 1914-1918.
2 – Première approche : nombre de porteurs et nombre d’actes répertoriés du XVIIe siècle à 1908.
2.1 – Des noms rares mais bien hiérarchisés.
2.2 – Un moyen pour évaluer la communauté des descendants d’anabaptistes.
2.3 – Une première approche pour une géographie du peuplement mennonite avant 1908.
3 - Les mennonites ou descendants de mennonites morts pour la France en 1914-1918.
3.1 – Mennonites au service de la France.
3.2 – Les familles et les départements concernés.
4 – La diffusion des patronymes mennonites de 1891 à 1990.
4-1 – Le maintien durable des Bastions mennonites de l’Est.
4.2 – Une ouverture progressive vers Paris et la France de l’intérieure.
4.3 – Un « zoom » sur la Lorraine à partir des sources généalogiques.
4.4 – Différents modèles familiaux.
Conclusion : L’apport des nouvelles technologies. Penser réseau et géographie mentale.
Annexes : tableaux statistiques.




Issus d’un courant minoritaire de la Réforme, les anabaptistes mennonites ont migré de Suisse vers le Royaume de France au cours des XVIe et XVIIe siècle, chassés par les persécutions de leur Oberland natal. Strasbourg et l’Alsace ont constitué pour eux une porte d’entrée relativement accueillante jusqu’à ce que Louis XIV ne décide à son tour de les chasser de ses états. Cette expulsion de 1712 a produit l’effet contraire de celui désiré puisque les anabaptistes, par le Jura ou par les Vosges, ont pénétré plus avant vers la France en profitant de l’existence d’une multitude d’enclaves où la tolérance religieuse, le besoin de repeupler des territoires ravagés par la guerre de Trente ans et leurs talents d’agriculteurs leur avaient obtenu la faveur des princes et même de certains évêques.

Il s’agit en réalité d’un groupe relativement limité de familles fortement endogames dont on peut suivre les pérégrinations depuis la Suisse de la Renaissance jusqu’à la Lorraine d’aujourd’hui et même aux Etats-Unis. Les Amishs américains et Canadiens, popularisés par le film Witness, sont en effet les descendants de ceux de Sainte-Marie-aux-Mines qui choisirent en 1696 de suivre l’ancien Joseph Ammann (1744, vers 1730) dans son schisme rigoriste[1]. La plupart des communautés Alsaciennes et Lorraines et une bonne partie de celles de Franche-Comté prirent en effet parti pour lui et elles restèrent Amish au moins jusqu’au milieu du XIXe siècle avant de se fondre dans la société locale. La dernière assemblée ouvertement amish, celle d’Ernstweiler dans la banlieue de Zweïbrucken, perdura ainsi jusqu’en 1937 alors que d’autres, notamment en Meuse, abandonnaient très tard le lavement des pieds et d’autres usages qui leur étaient propre.

Durant toute cette époque, les mennonites continuèrent de progresser vers l’intérieur du pays en devenant de moins en moins visibles à mesure qu’ils s’intégraient à la société locale. Ils sont aujourd’hui évalués en France à 2 ou 3000 personnes pour une population mondiale de 2 à 3 millions de fidèles mais l’absence de statistiques à base religieuse rend toute étude difficile à partir des années 1850. Or, depuis les travaux novateurs de Jean Séguy[2], de nouveaux moyens d’investigations se sont ouverts à nous. Les fonds d’archives départementaux, de mieux en mieux classés et enrichis grâce aux versements communaux, permettent de suivre l’intégration progressive des mennonites dans la République[3] (la propriété, l’école, le service militaire, les élections locales…), intégration qui va un peu à l’encontre de leurs convictions premières sur la non-mondanité, la non-participation et le pacifisme. Ces analyses micro historiques, sommes toutes traditionnelles, sont fort heureusement complétées par l’existence de sources tout aussi nouvelles qui autorisent une échelle macro grâce aux nouvelles technologies.

1 – Les fichiers et les bases de données en ligne.

Il s’agit de trois catégories de fichiers : les fichiers de l’INSEE, les bases de données généalogiques et les listes mises en lignes par le ministère des anciens combattants,

1.1 – Les fichiers patronymiques de l’INSEE.

L’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (créé en 1945) a en effet entrepris en 1970 de collecter et surtout d’informatiser les noms, prénoms, dates et lieux de naissance des personnes nées avant 1946 et qui étaient toujours vivantes à l’époque. A la plus grande joie des généalogistes, le fichier a depuis été régulièrement alimenté par les mairies. Certes, il comporte de grosses lacunes. Les individus nées avant 1945 et décédées en 1970 manquent à l’appel de même que les soldats morts durant les deux guerres mondiales. Les personnes nées en Alsace-Lorraine avant le retour à la souveraineté française de 1918 n’ont pas non plus été enregistrées, ce qui constitue pour nous un écueil important vu le poids de ces régions dans l’histoire mennonite. Même problème avec les colonies. Il aurait en effet été intéressant de savoir si une émigration anabaptiste s’était dirigée avant 1914 vers des territoires comme l’Algérie. Les DROM (départements et régions d’outremer) – COM (collectivités d’outremer) sont en revanche couverts à égalité de la métropole. Le fichier demeure pourtant un outil unique pour obtenir non pas des statistiques précises mais au moins des tendances territoriales.

Il ne faut en effet pas espérer identifier l’ensemble des familles mennonites françaises, ni même évaluer précisément le nombre de ses membres car la base de données INSEE fonctionne à partir des patronymes. C’est un avantage car les anabaptistes sont formés, comme nous l’avons écrit plus haut, d’un nombre limité de familles, toutes alliées les unes aux autres. Cependant si certains noms sont typiquement mennonites : par exemple Kennel, Sommer, Esch, Hirschy, Pelsy, Nafziger ou Creabil (Kreyenbuhl), d’autres sont tellement fréquents en langue allemande qu’il est impossible de distinguer qui est ou qui n’est pas d’origine suisse et anabaptiste. C’est le cas des Rich, Bacher / Baecher, Kauffmann, Gerardt / Gérard pour ne pas parler des nombreux Muller… De plus, certains porteurs ont pu depuis se convertir voire oublier le passé de leurs familles. Enfin l’orthographe des noms est fort variable (Kennel, Kenel, Kinnel, Von Kennel, Fonquenelle…) notamment à cause de la francisation de ces noms originaires pour la plupart des régions de Berne et de Zurich. En 1793, Anne Augsbourger se marie à la Broque (Bas-Rhin) et l’officier d’Etat-Civil note sur son registre, à l’oreille sans doute, le nom Auchponderine… Même problème avec le patronyme Nafziger qui devient Naufhause, Nehousse, Nousse etc.

Grâce aux pierres tombales conservées dans les vieux cimetières anabaptistes de l’Est de la France[4], nous avons donc sélectionné quarante patronymes qui étaient quasi-exclusivement mennonites au XIXe siècle puis nous avons cherché dans le fichier INSEE comment ces patronymes s’étaient répandus de 1891 à 1990. Les données concernent donc ce que Jean Séguy appelait initialement « une ethnie », une population d’origine suisse, au mode de vie et à la religion initialement différents de celle des territoires qui les ont accueillis. La source décrit le devenir de cette communauté même lorsque les aléas de la vie et de l’histoire ont occasionné des ruptures et des conversions.

1.2 – Les bases de données généalogiques.

Il était de tradition pour les historiens de se moquer des généalogistes et inversement mais les deux communautés ont depuis appris à s’estimer. Les apports de la généalogie à l’Histoire ne sont ainsi plus à démontrer. Dans beaucoup de fonds d’archives départementaux, les dépouillements très avancés de l’Etat Civil permettent maintenant aux chercheurs de gagner beaucoup de temps. Aussi, les bases de données créées par certaines associations, voire par des individus isolés qui ont réalisé un véritable travail de bénédictin, sont des mines. Jean-François Lorentz, dont une partie des ancêtres étaient anabaptistes, a ainsi fiché prés de 50000 actes et des milliers de personnes. C’est un utile complément, parce qu’organisé selon une logique toute autre de celle des fichiers INSEE. Une comparaison des résultats permet notamment une validation réciproque.

1.3 – « Mémoire des hommes » : les soldats morts pour la France en 1914-1918.

Enfin, depuis quelques années, le secrétariat d’Etat à la défense et aux anciens combattants a mis en ligne dans une rubrique particulière de son site : « Mémoire des Hommes », l’ensemble des fiches concernant les soldats morts pour la France durant la première guerre mondiale. La recherche est rapide et aisée, elle donne de nombreux détails sur les poilus concernés et elle est essentielle pour connaître les transformations d’une population qui, au départ au moins, refusait toute idée de service armé.

2 – Première approche : nombre de porteurs et nombre d’actes répertoriés du XVIIe siècle à 1908.

L’échantillon comprend donc quarante noms qui ne représentent qu’une partie, mais une partie importante, de la communauté mennonite francophone. Aux Etats-Unis, le nom porté aujourd’hui par tel ou tel fidèle permet en général de déduire son origine : la Hollande et l’Allemagne du Nord ou l’Allemagne du Sud, la Suisse et la France qui composent les deux branches originelles du mouvement. En effet, si Menno Simons a donné son nom à l’anabaptisme, il y a avait bien au départ deux ensembles géographiques et deux populations bien distinctes. Et parmi la seconde, le groupe français s’est distingué en suivant le courant Amish.

2.1 – Des noms rares mais bien hiérarchisés.

Il s’agit toujours de noms rares actuellement portés en France par seulement 296 individus en moyenne et qui arrivent, toujours en moyenne, au 80000e rang des patronymes français. Si les Kennel (5485e) ou les Sommer (5524e), des noms célèbres dans la communauté, sont relativement nombreux, on ne trouve que 21 personnes du nom de Schertz (200617e), 28 pour Schantz (198128e) et 55 pour Neyhouser (146402e). Le destin des différentes familles mennonites n’a donc pas été le même au sein de la diaspora anabaptiste française.

Le total des naissances confirme cette hiérarchie pour les 40 noms de l’échantillon, le patronyme Sommer représentant à lui seul près de 20 % des naissances mennonites de la période.

A titre de comparaison, les deux généalogies dressées par Jean-Paul Neyhousser et Jean-François Lorentz apportent les mêmes noms (ce qui confirme une inter-parentalité très large au sein de la communauté au bout de quelques générations) et une hiérarchie voisine où dominent notamment les familles Sommer, Neuhauser et Kennel. Leur rang est même fréquemment identique.

2.2 – Un moyen pour évaluer la communauté des descendants d’anabaptistes.

Même si l’échantillon ne représente pas tous les anabaptistes français, le total de plus de 11000 naissances depuis 1891 doit nous interroger pour une communauté évaluée grossièrement à 3000 personnes.

Les descendants des immigrants anabaptistes venus de Suisse à partir du XVIe siècle sont sans doute bien supérieurs en nombre dans la France d’aujourd’hui. Mais beaucoup n’ont plus aucun lien avec les mennonites. D’ailleurs, les chiffres présentés plus haut ont été en général fournis par les Eglises et correspondent plutôt à ceux qui fréquentent réellement les assemblées. Les enquêtes de 1809 et 1850 ont de plus été diligentées par l’Etat et avec des bonheurs différents. Disons qu’il s’agit du nombre de pratiquants alors que notre propre évaluation identifierait un « peuple » aujourd’hui disparu parce qu’assimilé. C’est le même problème que celui des sociologues américains lorsqu’ils étudient l’évolution numérique des catholiques aux Etats-Unis. Au XIXe siècle, à l’époque du grand flux, l’épiscopat fut en effet alarmé par une « perte en ligne » d’environ un tiers des immigrants catholiques et ceci alors même que l’Eglise romaine engrangeait des conversions de protestants. Sachant que nos chiffres s’apparentent seulement à un sondage, on peut néanmoins estimer aujourd’hui les descendants Taüfer à plus du double peut-être de ceux qui sont effectivement affiliés aux Eglises.

La difficulté sera donc grande de rapprocher les naissances et leur répartition géographique avec l’effectif global des assemblées. On peut au moins progresser par hypothèse, en supposant que le nombre de membres déclarés correspond aux régions où des assemblées existent en tant que telle. Là au moins, on pourrait donc en théorie reconstituer les effectifs de population par département, sachant que des communautés nouvelles se créent et que le nombre d’Eglises change notamment au XXe siècle en région parisienne.

Il resterait pour vérifier les résultats à rapprocher ces chiffres de ceux que nous pouvons obtenir au cas par cas pour certaines assemblées. Selon l’enquête préfectorale de 1850, il devait y avoir à l’époque entre 200 et 250 mennonites en Meuse dont 162 dans le seul arrondissement de Commercy. Il n’y en aurait plus que 106 en 1889, Cette extrapolation paraît cohérente avec la baisse générale observée entre les deux dates pour l’ensemble de la communauté mennonite française. En revanche, elle ne nous donne plus que 72 individus en 1968 alors que les anabaptistes ont augmenté entretemps. Ceci dit, il semblerait que la Meuse n’ait pas évolué dans le sens général et qu’elle n’avait pas encore rattrapée les pertes de la première moitié du XXe siècle. Ce département eut par exemple, hors Paris, le plus fort taux de pertes parmi les conscrits mennonites en 1914-1918.

2.3 – Une première approche pour une géographie du peuplement mennonite avant 1908.

Un rapide décompte des actes mentionnant les patronymes retenus avant 1908 dans les fonds d’archives départementaux peut heureusement nous fournir un état des lieux avant que le fichier INSEE ne commence à nous donner des informations au tournant du XIXe au XXe siècle. Du XVIIe siècle à 1908, les familles de l’échantillon sont mentionnées par 4997 actes dans les archives françaises. Toutes n’ont pas laissées autant de traces. Si des patronymes fréquents comme Kennel (236 actes) ou Esch (394 actes) sont les plus cités, des familles moins prolifiques comme les Schantz et les Nafziger dépassent la centaine de documents.

En effet, la production d’actes n’est pas uniquement proportionnelle à la démographie mais au rayonnement de ces familles. Or, la société mennonite est alors divisée en deux catégories : des petits fermiers, des ouvriers agricoles, des bergers au niveau de vie modeste et qui travaillent fréquemment sur les grosses exploitations des autres. Ceux-ci fermiers des princes ou meuniers ont réussi à réunir de grosses surfaces qu’ils ont mises en valeur grâce à un talent certain et un grand sens de l’innovation. Malgré leur mode de vie ascétique, ils sont devenus des notables et bien sûr ils produisent un nombre d’actes bien plus élevé. Contrairement à l’habitude mennonite, ils font même appel à la justice pour défendre leurs contrats, parfois même contre leurs propres coreligionnaires. Enfin, ils cumulent fréquemment cette prééminence sociale avec la fonction d’ancien, le poste devenant parfois quasiment héréditaire. Pensons à ce Jacques Klopfenstein qui édite à Belfort, à partir de 1812, le célèbre almanach « L’Anabaptiste ou l’agriculteur par expérience » ou à Nicolas Augsburger, gros agriculteur de la région de Salm qui fut à l’origine d’un schisme rigoriste dans la deuxième moitié du XIXe siècle.


Ces actes sont donc bien localisés dans le nord-est de la France, région qui a constitué et qui constitue toujours le foyer premier du peuplement anabaptisme en France. La Basse Alsace comporte 718 documents ce qui confirme le rôle de Strasbourg comme plaque tournante de l’immigration mennonite suisse. Cette ville qui a joué un grand rôle dans la Réforme fut en effet relativement tolérante pour de nombreuses « sectes ». Cependant, c’est la Moselle qui emporte la palme, et de loin, avec à elle seule plus de 60 % de l’ensemble des mentions. Ayant progressé vers l’ouest au XVIIIe siècle et après la Révolution, les communautés se sont mieux organisées et davantage de leurs membres ont réussi, ce qui leur permet de laisser davantage de traces dans les archives. Pour le reste, la carte résume bien la progression du « front pionnier » mennonite à l’époque contemporaine. Une branche du mouvement s’est répandue vers l’ouest, vers la Meurthe & Moselle puis par les Vosges vers la Meuse, la Marne et la Haute Marne. Profitant de la tolérance des princes de Montbéliard, une seconde branche a pénétré bien avant la Révolution dans le Jura d’où certains auraient glissé vers le Lyonnais. Avec l’existence précoce d’une communauté parisienne c’est une des nouveautés apportées par cette carte.

3 - Les mennonites ou descendants de mennonites morts pour la France en 1914-1918.

Pour le même échantillon de 40 patronymes, 141 poilus tués entre 1914 et 1918 ont été retrouvés. Sur la base d’une mortalité au feu moyenne équivalente à celle des français de souche, cela ferait près de 900 anabaptistes mobilisés durant la première guerre mondiale. Bien sûr, l’Alsace-Moselle est largement minorée du fait de son intégration à l’Empire Allemand. Les tués sont dans les listes de l’autre camp. Cependant, 20 soldats de ces territoires ont servi la France : 1 mosellan, 3 du Bas-Rhin, 6 du Haut-Rhin et 10 dont nous savons juste qu’ils venaient d’Alsace. Mieux, nous découvrons un mennonite prussien et 5 soldats de nationalité suisse.

3.1 – Mennonites au service de la France.

Ainsi, Joseph Guerber, né le 17 janvier 1886 à Morhange, est tué le 2 mai 1917 dans la Marne. Comme dans la plupart des cas similaires, c’est le résultat d’une émigration précoce. Joseph était venu s’installer avant guerre à Dombasle-sur-Meurthe (Meurthe & Moselle). Il dû demander ou retrouver la nationalité française car il fut incorporé normalement à vingt ans au 41e RI, le régiment de Nancy, et dans sa classe normale de 1906 avant d’être rappelé à la mobilisation. D’autres individus ont transité par l’Empire colonial. Ainsi, Philippe-Joseph Esch, né le 24 mars 1878 à Ochtending (Prusse), avait été intégré à Oran dans d’un régiment d’infanterie coloniale. Dans d’autres cas, enfin, la fiche mentionne non pas un appel mais un véritablement engagement comme le prouve l’exemple des frères Engel : Jean (né le 9 novembre 1891 à Dornacht, Alsace) et Georges (né 9 avril 1885 au même endroit). Le second n’attend pas d’être majeur pour passer la frontière et s’engager à Montbéliard au 166e RI. En 1911, le cadet fait de même mais dans la Seine pour le compte d’un bataillon de chasseurs. Or, l’aîné, devenu officier entre temps (il meurt capitaine en 1918) était alors en poste à Paris. Cette fratrie a donc très clairement fait le choix de la France et du service des armes bien avant que la guerre ne soit déclarée. Les mennonites qui refusaient autrefois le service militaire se sont tellement intégrés à la République qu’ils acceptent comme tout le monde la mobilisation de 1914. Ils avaient précédemment et normalement fait leurs classes et leurs cousins restés en Alsace, en Allemagne ou en Suisse les ont rejoint.

Hans Blaser, qui est tué à l’ennemi le 29 septembre 1915, était né à Laupernil (Suisse) en 1891. Il s’engage au 3e régiment de marche du 1er Etranger (Légion étrangère) dès la déclaration de guerre. Son âge, 23 ans, et le choix de l’unité montrent que nous sommes dans un cas de figure très différent des précédents. Même chose pour Valentin Augsburger (1894, Tramelan, Suisse), engagé à la même unité en 1915, mais à Besançon, et qui meurt près de Soisson en 1918. Face au danger d’invasion qui menace la France, ces deux soldats ont décidé de rejoindre l’armée française. Ils avaient peut-être été guidés par des précédents. Ainsi, Henri Hauter (1877, Muckenstein, Suisse) avait gagné le 226e RI à Nancy dès 1897, sans doute après s’être fait naturalisé. Paul Zaugg (1888, Renau, Suisse) et Antoine Engel (1883, village de naissance illisible, Suisse) avaient quant à eux aussi fait le choix de la Légion en signant dès 1908, l’un à Belfort et l’autre à Annecy. Cet exode ne va pas de soi car il est sans retour, la législation suisse interdisant l’engagement au profit des armées étrangères.

Si des cousins alsaciens, allemands ou suisses (en tout 19 % de l’effectif) passaient le pas et choisissaient la France, on comprend que les anabaptistes français soient allés au combat comme leurs concitoyens, sans enthousiasme excessif mais aussi sans opposition majeure et avec le sentiment de faire leur devoir. Ils s’étalent sur 14 classes de mobilisations. Le plus âgé, de la famille Sommer, appartenait à la classe 1874, il avait fait ses classes normalement en 1894 et avait prêt de 40 ans lorsqu’il est rappelé sous les drapeaux, alors que les plus jeunes, de la classe 1918, (Oesch, Guerber, Rogie, Hirschy) venaient juste d’avoir 20 ans lorsqu’ils sont tombés au feu.

3.2 – Les familles et les départements concernés.

Sur la quarantaine de patronymes recherchés, 33 ont perdus des enfants. La famille Engel arrive en tête de ce macabre décompte avec 44 tués dont 11 qui venaient d’Alsace-Lorraine et d’Allemagne, 3 d’Algérie et 1 de Suisse. Une émigration mennonite vers l’Afrique du Nord avait donc bien eu lieu, d’ailleurs deux fils de la famille Rogie habitaient également en Algérie. On trouve en tout 14 tués chez les Rogie / Roggy, 12 chez les Sommer, 8 chez les Kennel et 6 pour les Guerber etc.

Un cinquième de ces poilus habitaient auparavant à Paris, les autres provenant majoritairement de Lorraine (28 %) dont 16 % du seul département de la Meuse. Le Doubs est également très représenté. La géographie des tués est donc parfaitement cohérente avec ce que l’on sait de la géographie mennonite en France de 1914 et elle renseigne sur l’intégration tant économique et sociale que psychologique des anabaptistes à la République française. D’ailleurs, quelques minutes de recherche suffisent pour retrouver des patronymes mennonites, autrefois amishs et aujourd’hui associés à des organisations patriotiques.

4 – La diffusion des patronymes mennonites de 1891 à 1990.

Les 11169 naissances fournies par le fichier INSEE entre 1891 et 1990 se répartissent en quatre époques équivalentes qui apportent respectivement 16,7 %, 22,7 %, 31,8 % et 28,9 % des naissances. La communauté se développe donc, surtout dans la première moitié du XXe siècle, et elle connaîtrait un tassement depuis les années 60.


4-1 – Le maintien durable des Bastions mennonites de l’Est.

Ces données confirment que le nord-est de la France est resté essentiel dans le peuplement mennonite, alors même que l’absence des personnes nées sous le régime allemand en Alsace - Moselle tend à sous-estimer leur poids dans cette région.


On distingue plusieurs auréoles autour de ce foyer initial d’Alsace-Lorraine et de Franche-Comté. Le sud et l’ouest de la Lorraine, l’est de la Champagne, plus la Haute-Saône forment un deuxième rideau avant une grande diagonale qui, du Nord à la Savoie, dessine une ligne de front qui annexe la région parisienne (un millier de naissances à elle seule dont 661 à Paris même). On comprend pourquoi les Eglises mennonites ont ressenti après guerre le besoin de créer des établissements en région parisiennes, par exemple à Chatenay-Malabry. Au-delà, l’émigration mennonite ou d’origine mennonite est plus diffuse. Elle concerne toute la France même si on peut isoler des petits foyers sur la Côte d’Azur, le sud-ouest atlantique et l’axe qui va de la Sarthe à l’Indre-et-Loire, ce dernier espace étant tout particulièrement agricole.


Le poids respectifs des grandes régions mennonites paraît néanmoins assez stable au XXe siècle puisque la part des naissances hors des foyers traditionnels d’Alsace, de Lorraine et de France Comté passe seulement de 20 % à 30 % en cent ans, la région parisienne demeurant étale autour d’un chiffre de 9 à 12 %. Comme la Lorraine auquel nous avons joint la Haute Marne (car il y a beaucoup d’échanges entre les familles de ces départements à l’époque) et la France Comté évoluent peu en proportion, 26-27 % pour l’une, 11 % pour l’autre, les pertes en Alsace apparaissent plus nettes même si elles ne sont que relatives. Elle concentre encore près du tiers de l’effectif.

4.2 – Une ouverture progressive vers Paris et la France de l’intérieure.

Dès la première période on remarque pourtant un déploiement encore timide vers la Champagne, le Nord, Lyon et Nice alors que le positionnement en région parisienne paraît déjà ancien et bien assuré. Il remonterait donc à une époque plus ancienne, peut-être même avant 1870. Ceci confirmerait une hypothèse de Jean Séguy selon laquelle la chute d’effectif globalement observée au XIXe siècle ne serait pas due seulement à l’émigration vers l’Amérique mais aussi à une infiltration diffuse vers l’intérieur du pays. Cette géographie évolue peu entre les deux guerres mondiales. Il semblerait d’ailleurs, par des témoignages recueillis dans les archives, que des familles de Haute-Marne ou de Meuse, peut-être d’autres départements intérieurs, soient reparties vers la Moselle et l’Alsace après 1918. On a en tout cas souvent repris l’habitude d’aller s’y marier.


Les années 1950-1960 voient la constitution de la grande diagonale Lille – Paris – Nice, transversale qui apparaît moins nette depuis 1966 alors même que le peuplement mennonite en France se fait tout azimut et qu’apparaissent de nouveaux foyers dans le sud ou le sud-ouest du pays et autours des métropoles. Les mennonites comme l’ensemble des français ont bougé au XXe siècle et, comme eux, ils ont été pris dans le grand mouvement d’exode rural. On ne peut en effet plus assimiler anabaptistes et paysans. La promotion sociale permise par l’école et notamment l’attrait pour les métiers de l’enseignement ou les disciplines technologiques ont permis aux mennonites de concilier fidélité à leur foi et modernité. Ceci dit, la majorité est tout de même restée dans ses régions de prédilection.

4.3 – Un « zoom » sur la Lorraine à partir des sources généalogiques.

Les projections départementales sont assez grossières et elles méritent d’être complétées à une échelle plus fine par les fichiers généalogiques. Le millier d’actes concernant les ancêtres directs de Jean-François Lorentz et qui correspondent au corpus de 40 patronymes a été complété par une recherche sur le lieu de naissance des parents de tous les mennonites meusiens repérés depuis l’enquête de 1850 jusqu’à la guerre de 1914-1918. La Meuse a été choisie pour deux raisons, l’une théorique et l’autre technique. Ce département est d’abord le point d’aboutissement des migrations anabaptistes en Lorraine, on peut donc remonter en arrière les déplacements, ensuite la Meuse a pour particularité d’avoir numérisé l’ensemble de son état civil, ce qui facilite notablement l’enquête.

Or, les deux sources apportent des résultats équivalents. Elles révèlent un vaste croissant centré sur le massif vosgien, à la jonction de l’Alsace, qui part de Damas et Autrey, près d'Epinal, et va jusqu'a l'Est de Metz en passant par Sainte-Marie-aux-Mines (Markirch), Sarrebourg et la région de Sarreguemines. C'est la localisation du début du XlXe siècle, voire dès l'Ancien Régime. A part Pont-à-Mousson, Custine et Donnelay, au nord de Nancy ainsi que quelques à villages au sud de Nancy et à l'ouest de Toul, la Meurthe & Moselle ne semble pas avoir beaucoup attiré les mennonites lors de leur migration vers l'ouest. La branche occidentale du croissant rejoint Darney, Vittel et Neufchâteau et remonte vers le nord par la vallée de la Meuse : Chassey-Beaupré, Vaucouleurs, Sampigny et Saint-Mihiel. Cette géographie parait déjà bien posée en 1850 et elle se renforce dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Dans les deux bases de données et dans d’autres que nous avons pu consulter, certaines localités reviennent constamment, celles qui ont constituées durablement des points d’appuis pour la communauté mennonite et les seuls endroits où on pouvait trouver plusieurs familles en même temps. Autours de ces points, des cellules se sont souvent développées, base d’Eglises qui existent parfois encore aujourd’hui.

Or, cette localisation n'a rien d'exceptionnel, c'est déjà celle du croissant sud lorrain mentionné par Odile Jurbert pour le protestantisme au XVIe siècle avec notamment le rôle central de la Vôge comme plaque tournante entre les Vosges et le Barrois. L'espace central correspond lui au pôle d’impulsion de la Réforme catholique en lorraine, avec comme capitale l'université jésuite de Pont-à-Mousson. Il est donc notable que cette vieille division religieuse de l'espace apparaîtrait toujours à l'époque contemporaine. Or, la localisation actuelle des Eglises affiliées à l’AEEMF (association des Eglises évangéliques mennonites de France) recoupe en grande partie cette géographie, à l’exception de la Moselle Est et du pays de Sarrebourg qui ne détiennent plus, à notre connaissance, d’Eglise constituée. L’assemblée de Longwy, dans le pays haut meurthe et mosellan, qui pourrait aller en sens contraire de notre argumentation, est en réalité une création récente due plus à une mission américaine d’après guerre qu’à une longue tradition locale.


La progression du front pionnier anabaptiste s’est échelonnée en trois étapes depuis l’installation au milieu du XVIIe siècle de quelques familles dans la zone de contact entre l’Alsace et les Vosges (grosso modo entre 1650 et 1670, le « may flowers » local correspondant à l’arrivée de 60 familles en 1671). Après l’expulsion de 1712, les mennonites commencent à pénétrer plus en avant dans les territoires lorrains : en direction du marquisat de Deux-Ponts (Zweibrücken) au nord et vers Sarrebourg via Salm à l’ouest. A la Révolution et sous l’Empire, ils se déploient enfin beaucoup plus largement en Moselle Est, dans l’ancien département de la Meurthe et vers la Meuse où le premier anabaptiste connu est repéré en 1819.

Il s’agit réellement d’un front pionnier puisque les mennonites s’installent initialement à l’écart, dans des régions de montagne ou de forêt, se livrant parfois même à des défrichements. En Meuse, près du village de Sauvigny, l’écart du Traveron où plusieurs familles anabaptistes se sont succédées du XIXe siècle au années 1920, des toponymes gardent même le souvenir de leurs noms. Dans le bois qui surplombe le hameau, une clairière porte encore l’appellation de « pré Gérard » en souvenir de la famille Gerardt qui tint longtemps la ferme et le moulin.

Mais attention, ce n’est pas réellement le front qui avance uniformément, comme le serait la frontière de l’ouest américain mais plutôt des cellules de l’intérieur qui se dédoublent et vont créer plus loin, par scissiparité, de nouvelles souches.


Bien avant l’arrivée de familles entières, des individus isolés sont signalés. Alors que venant d’Alsace voire directement de Suisse, les mennonites sont encore des nouveaux venus dans la vallée de la Bruche, des mennonites sont déjà mentionnées en 1672 à Rimling, à l’est de Sarreguemines, et à côté de Château-Salins. Le scénario est toujours le même. Dans l’exemple meusien de 1819, Christien Amstuty (Amstutz) est un berger qui, au grès de ses pérégrinations, peut repérer les terroirs disponibles, les fermes à louer et surtout les moulins. En effet, fréquemment, les anabaptistes remontent les vallées et finissent par détenir le bail de la majorité des moulins. Des cousins viennent travailler sur l’exploitation qui s’étend assez rapidement aux terres voisines. La famille repart mais une autre lui succède dans la location. Dans les années suivantes, d’autres familles s’installent dans les fermes isolées du secteur, parfois à l’occasion de mariages, et on remarque qu’elles proviennent des mêmes endroits que la première arrivée.

Il faut donc concevoir la géographie mentale des mennonites comme un ensemble fils et de nœuds, un réseau au long duquel, du fait de leur dispersion, la circulation de l’information est un fait capital pour leur survie comme communauté particulière. Lorsqu’elles ont été conservées, l’analyse des correspondances et des archives privées permettrait d’avancer sur ce sujet.

Pour finir et à titre d’anecdote, l’annuaire permet une dernière approche de la diffusion anabaptiste, à condition d’en rester au postulat de départ qui consiste à rechercher les descendants des frères suisses et non les seuls qui sont encore mennonites. L’annuaire de la Meuse pour 2006 permet ainsi de retrouver une trentaine de noms de familles. Bien entendu, la carte qui en est tirée ne peut-être qu’indicative. Il manque des noms, certains individus peuvent être sur liste rouge, certaines familles ont pu se convertir ou suite à un mariage mixte, des enfants ont pu adopter un autre culte, réformé ou catholique. De toute façon, il n’a été possible de prendre en compte que les noms typiques comme Kennel, Guingrich, Guerber, Eymann, Nafziger, Kreyenbühl, Rogie et non pas Muller ou Gérard trop communs.


Trois espaces apparaissent néanmoins, le quart sud-est du département de Gondrecourt-Chassey au secteur de Saint-Mihiel, le quart sud-ouest de Morley à Revigny en passant par Ligny et Bar et la région au nord de Clermont-en-Argonne. Cette projection n’est finalement pas très différente de celle de 1851, quand le préfet de la Meuse accordait 162 anabaptistes dans l’arrondissement de Commercy, 69 dans celui de Bar-le-Duc, 17 pour Verdun et aucun dans la circonscription de Montmédy.

4.4 – Différents modèles familiaux.

Revenons au fichier INSEE. Entre la première et la dernière période, un siècle s’est écoulé. Le nombre d’individus de chaque patronyme ainsi que le nombre de départements couverts par chaque nom ont changé. Un indice de diffusion prenant en compte ces deux données, sur une base 100 en 1891-1915, permet donc de repérer les noms qui se diffusent le plus.

Certaines familles comme les Rediger ou les Mozimann, qui n’ont d’ailleurs jamais été numériquement importantes, semblent disparaître. En revanche, celles qui étaient très nombreuses, par exemple les Kennel (440/16 et 428/18), les Guerber (193/13 et 169/15) ou les Sommer (727/42 et 605/37), demeurent stables voire diminuent un peu, comme si elles avaient très tôt trouvées leur environnement de prédilection et qu’elles n’en changeaient plus. D’autres connaissent une grosse progression en indice (Roggy, Zehr, Neyhouser, Zaugg…) mais il est vrai qu’ils étaient peu nombreux au départ.

Trois situations apparaissent à l’examen de la dernière période. A l’image des Nafziger, Hege ou Hirschy, la moitié au moins des patronymes sont restés peu diffusés, à la fois en valeur absolue et en nombre de départements. Ils sont en général restés fidèles de manière stricte aux régions de l’Est. Un deuxième groupe se détache avec les familles Roggy, Joder et Klopfenstein. Les clans Blaser, Guerber, Esch et Widmer sortent de ce nuage mais n’ont pas encore atteint la diffusion du dernier ensemble, les familles Kennel et Sommer qui sont effectivement présentes un peu partout.


Il y existerait donc une histoire différente selon les familles et peut-être des stratégies qui ne pourront être mises au clair qu’à partir d’une histoire spécifiques de ces lignages. L’immigration vers l’Amérique du Nord, qui a joué un grand rôle dans la disparition de certains patronymes au XIXe siècle, a peut-être encore joué au XXe siècle.


Conclusion : Comme nous avons essayé de le montrer, les nouvelles technologies et les fichiers constitués par les administrations, les associations ou les particuliers permettent de réaliser des enquêtes sur une vaste échelle qui auraient dépassé autrefois les forces du chercheur isolé. La cohérence d’ensemble valide la méthodologie même si elle pose des questions qui devront être résolues par d’autres approches. Ainsi, le problème des réseaux et de la géographie mentale, un sujet passionnant pour décrire les développements de la communauté anabaptiste mais aussi les rapports entre la vie matérielle, la religion et l’intégration à la société ambiante, doivent être reposés en d’autres termes et sur la base de sources plus classiques ;

[1] « Ammann Ish » ou parti d’Ammann. Entre 1980 et 1984, une branche modérée des Amishs américains mena une mission en Alsace et tenta sans succès de se réinstaller près de Sainte-Marie-aux-Mines (Markirch).

[2] Jean Séguy, Les Assemblées anabaptistes-mennonites de France, Editions de l’EHESS, Paris, 1977.

[3] Frédéric Schwindt, « L’arrivée d’une communauté protestante méconnue : les Anabaptistes - Mennonites en Meuse (1819-2006) », Société des Lettres, Sciences et Arts de Bar-le-Duc, Mars 2007.

[4] Michèle Wolf, Lieux d’inhumation mennonites dans l’Est de la France, Université d’Essen, Deuxième éditions, 3 tomes, 1991-1993.

Projet de communication pour le 3e colloque internationnal de pathographie (Bourges - mars 2009)

Le corps des pauvres
Une affaire de « résurrectionnistes » en Lorraine à l’époque de Louis XIV »

Si on n’ignore pas l’usage de l’autopsie pour les grandes affaires, telles celles que le grand Châtelet ou le parlement de Paris on a connaître (des sources que Jean-François Parot a utilisé pour ses romans récemment adaptés à la télévision), les archives locales regorgent également de nombreuses ouvertures de cadavres. Depuis le XVIIe siècle au moins, ces autopsies étaient réalisées à la demande des instances judiciaires de base, justices seigneuriales, prévôtés ou bailliages et concernaient des gens ordinaires, surtout des pauvres. Trois exemples présentés ici rapidement concernent la Lorraine dans les années 1700-1720 : un manouvrier tombé d’une échelle, l’enfant battu d’un vagabond et un petit paysan. Les hasards de la conservation ont aussi conduit jusqu’à nous un dossier complet, celui d’une affaire de résurrectionnistes. En 1704, en pleine guerre de succession d’Espagne, et non loin de la frontière du royaume de France, un cadavre récemment inhumé dans le cimetière de Couvonges (marquisat de Stainville) est volé par un groupe de médecins, d’étudiants en médecine et de chirurgiens, dont un médecin militaire. L’épouse du mort se plaint, le procureur enquête, le curé est inquiété et le maître d’école, qui s’occupe aussi du cimetière, mis en cause. Si l’affaire est secrète, elle a eu paradoxalement beaucoup de spectateurs et la rumeur enfle. Un cochon fait même parti des témoins. Il semblerait que les médecins, pour s’occuper, ont d’abord voulu réaliser une ouverture sauvage mais que la destination finale était de livrer une « anatomie » à riche client. Les ossements sont finalement retrouvés et le magistrat les fait expertiser. On suppose l’existence d’un réseau qui n’en serait pas à son coup d’essai mais, au grand dam du procureur, l’affaire s’arrête assez rapidement. Un arrangement aurait été trouvé.

Cérémonie patriotique



Inauguration du monument aux morts d'Erize-la-Grande
8 novembre 2008
Rappel des poilus d’Erize-la-Grande
par Frédéric Schwindt, correspondant défense de la commune


INTRODUCTION :

Comme lors de l’inauguration du monument de Rosnes, nous avons souhaité ne pas nous limiter à une simple énumération mécanique de la liste du monument aux morts mais essayer de rendre un peu de vie, un peu de chair à ces 14 hommes qui ont tout donné pour la patrie.

C’est grâce à eux que nous pourrons, mardi prochain, quand les cloches de tous les villages sonneront, comme en 1918, commémorer à Verdun, en présence du président de la République et de chefs d’Etats étrangers, les 90 ans de l’armistice.

Ce que je vais dire ressemblera donc hélas beaucoup aux constatations que nous avions faites à Rosnes, au printemps, et je crois, là je m’adresse aux maires présents, que nous pourrions faire les mêmes dans toutes nos communes.

1 – 1914-1918.

Nous sommes en Meuse marqués par la boucherie de Verdun mais contrairement à ce qu’on peut croire, les plus grosses pertes ont eu lieu au début et à la fin du conflit, lors des phases de mouvement et non pas lors des phases d’usure.

Deux de nos poilus sont tombés en 1914, quatre autres en 15 lors de la course à la mer et de la bataille de la Somme, quatre également en 1918 au moment des coups de boutoir de Luddendorf ou de l’offensive finale au côté des Américains.

2 – Des hommes jeunes.

J’y insiste toujours, notamment pour les enfants, car mêmes nous, nous avons toujours eu l’habitude de voir des cheveux blancs lors des cérémonies, il s’agissait alors d’hommes jeunes, voire très jeunes.

Si l’on retire le chef de bataillon Auboin, né en 1866 et mort exactement à 50 ans le 8 avril 1916 quelque part près du fort de Vaux (j’ai vérifié, c’est non loin de là et dans les mêmes opérations que quelques jours plus tôt le capitaine de Gaulle a été porté disparu), nos soldats sont en moyenne né en 1890.

Ils sont un peu plus âgés que ceux de Rosnes, il y a donc beaucoup de rappelés parmi eux et plusieurs sous-officiers, les sergents Purson, Granger et Henrion, mais se sont pourtant des hommes dans la force de l’âge qui tombent au feu à 25 ans de moyenne.

3 – Les unités et les champs de bataille.

A l’exception d’André Noël et d’Ernest Louis René Petitpas qui servent au 18e et 12e Régiment de Chasseurs à Cheval, tous sont des fantassins.

D’ailleurs les cavaliers eux-mêmes ont été pour la plupart et rapidement démontés pour renforcer les tranchés.

Le fait que Jules Louis Purson soit un peu plus âgé explique son affectation à un régiment territorial, le 74e RI, ce qui ne l’empêche pas d’être envoyé tout de suite en première ligne et de mourir dès le 1er novembre 1914 en Belgique.

Trois de nos poilus, Jacquier – Granger et Médart, servent, on s’en doutait, au régiment de Bar-le-Duc, le 94e RI, représenté aujourd’hui par M. Manchette mais on trouve aussi le 41e, le 136e, le 166e, le 306e et le 355e.

Cas particulier, Fernand Alexandre Bernard relevait lui du 9e Régiment du Génie, compagnie 6/5, des unités dont on ne dira jamais assez le rôle à la fois dans les combats, et dans la préparation des assauts, mais aussi dans l’amélioration des conditions de vie de nos hommes au front.

Les lieux où ils décèdent racontent la guerre de 14-18, pas besoin de carte, il suffit de citer le département ou la région pour que des tas d’images nous viennent en tête : Belgique, Meuse 2 fois, Marne 5 fois, Ardennes, Aisne, Somme 2 fois.

Causes de la mort : 1 disparu, Léon Pariset, le 16 juillet 1918, 5 tués à l’ennemi et 6 des suites de blessures de guerre. Pensons à ces centres de tri, juste derrière les premières lignes, où on amène les blessés et où les médecins militaires doivent prendre la terrible décision : qui vont-ils pouvoir soigner et qui ont va abandonner aux mains des aumôniers parce que le temps ou le matériel manquent ou parce qu’on pourra sauver trois ou quatre amputés à la place d’opérer un blessé atteint aux viscères.

4 – 1939-1940.

Erize-la-Grande a également été touché par la seconde guerre mondiale : Fernand Watelet mort en 1939 et André Tronville tué en 1940. Cette guerre est plus proche de nous, certains ici l’ont vécu, et on se souvient des victimes qu’on a connu.

André Tronville qui était né le 14 janvier 1915 a devancé l’appel pour faire son service militaire au Maroc, à Casablanca, dans les Zouaves, avant de reprendre le travail dans la ferme familiale.

Rappelé lors de la mobilisation, il retourne au Maroc avant que son régiment ne soit affecté en métropole et engagé en Champagne dans des combats antichars. Un obus tombe sur sa pièce et en tue les 8 servants le 12 juin 1940, à quelques jours de l’armistice. Il meurt la gorge tranché par un éclat.

Enterré dans une fosse commune à Villers Allerand, près de la Montagne de Reims, son corps est retrouvé et reconnu par son père, après l’armistice grâce à sa manière particulière de lacer ses chaussures. Il a été ramené au cimetière d’Erize-la-Grande.

Fernand Watelet, quant à lui, est enterré au cimetière militaire de Metz.

Cérémonie patriotique


Inauguration du monument aux morts de Rosnes
17 juin 2008
Rappel des poilus de Rosnes
par Frédéric Schwindt, correspondant défense de la commune


INTRODUCTION :

En cette année 2008 qui a vu disparaître le dernier poilu, le dernier combattant français de 1914-1918, la commune de Raival célèbre les enfants de Rosnes qui sont tombés durant la première guerre mondiale avant de faire de même, dans quelques mois, pour Erize-la-Grande.

Dix jeunes hommes de la commune sont tombés pour la France dont trois frères : Pierre Fernand, Joseph Raymond et Lucien Georges Depoyant.

Ainsi, Rosnes est représentative du drame vécu par l’ensemble des communes françaises et cette plaque commémorative permet, à elle seule, de retracer l’ensemble du premier conflit mondial.

DE JEUNES HOMMES.

Nos villages ont en effet perdus entre 1/5 et ¼ des hommes mobilisables, près du 1/3 dans certaines localités de Bretagne. Par le jeu des cousinages, c’est toutes les familles qui se sont donc retrouvées concernées par les deuils.

La moyenne d’âge des tués de Rosnes est de 23 ans 4 mois mais quatre d’entre eux n’étaient pas majeurs, ils avaient moins de 21 ans révolus. Le plus jeune, Lucien Gorges Depoyant n’avait que 19 ans lorsqu’il perd la vie à Villemontois, dans l’Aisne lors de la contre-offensive finale de 1918 qui suit les coups de boutoirs du général Luddendorf du printemps précédent.

Au contraire, Jules René Bernard avait 28 ans et Joseph Raymont Depoyant plus de 30. De la classe 1905, il avait été rappelé et il tombe à Fresnes-en-Woëvre lors de la bataille de Verdun.

DES FANTASSINS.

Se sont des soldats ordinaires, 6 deuxième classes ainsi qu’un caporal et 2 sergents promus au feu.

A part Pierre Fernard Depoyant, soldat au 6e cuirassier, se sont tous des fantassins. Un tiers a servi au 94e Régiment d’Infanterie, le régiment de Bar-le-Duc dont monsieur Manchette, ancien déporté, tient aujourd’hui le drapeau. Selon la loi organisant la conscription, le recrutement était en effet avant tout local.

Rappelons que le service militaire était alors de trois ans. A la mobilisation, Pierre Fernand qui était de la classe 11 venait juste d’être libéré. Louis Henri Macé, de la 13, aurait dû en finir à la fin de 1916. Il est tué au Mort Homme, près de Cumières, à la date qui aurait dû être celle de sa Libération si la guerre n’était pas advenue.

Outre le 6e cuir démonté depuis longtemps, les autres régiments mentionnés sont le 72e, le 87e, le 132e d’Infanterie ainsi que le 16e bataillon de chasseurs à pied engagé à Verdun en même temps que les deux bataillons du colonel Driant.

TOUS LES CHAMPS DE BATAILLE DE 14/18.

A l’exception du front d’Orient, nos poilus sont intervenus partout, sur tous les champs de bataille de la France et on peut raconter la guerre uniquement avec leurs noms.

Deux sont tués dès le début du conflit, à l’automne 14, 3 en 1915, 3 en 1916 – ce qui montre que le début de la guerre a été excessivement violent et coûteux en hommes – 1 en 1917 et 1 dernier en 1918.

Sept d’entre eux sont tués face à l’ennemi et deux meurent à l’hôpital quelques jours après avoir été gravement touché : c’est par exemple le cas le cas de Jules René Bernard, du 94e RI, qui participent la bataille de la Marne et décède près du front à l’hôpital de Sézanne le 8 septembre 1914.

Lucien Ernest Richard disparaît quant à lui au combat le 10 octobre 1915, en pleine bataille de la Somme. Son corps ne sera jamais retrouvé. C’est le lot de beaucoup de familles qui n’auront, à l’exception des monuments au mort, aucun lieu pour se recueillir.

Deux de nos soldats tombent lors des premiers combats. Le premier, Pierre Henri Nol, le 22 août 1914 près d’Ecurey, en Meurthe & Moselle, lors de cette retraite de Lorraine en ordre qui permet après les victoires du Grand Couronné et de la Vaux-Marie la contre offensive victorieuse de la Marne. C’est d’ailleurs là que Jules René Bernard perd la vie le 8 septembre.

Pour 1915, Pierre Fernand Depoyant trouve la mort dans le Pas-de-Calais après la course à la mer, Lucien Ernest Richard dans la Marne et son frère Eugène Louis Richard à Verdun, position qui connaît déjà des combats violent, alors même que le front s’est fixé.

C’est là que Joseph Raymond Depoyant et Louis Henri Macè trouvent la mort en mars et en avril 1916, au plus fort de l’offensive allemande débutée le 21 mars. Lucien Jean Meyer, sergent au 94e, est quant à lui engagé sur la Somme où il tombe en septembre.

Le caporal Marcel Richard meurt enfin en Haute Alsace, le 15 août 1917 et Lucien Georges Depoyant dans l’Aisne le 21 juillet 1918, alors même que les armées alliées se lancent dans l’offensive finale avec les chars du général Estienne originaire de Condé-en-Barrois.

CONCLUSION :

L’Histoire de nos poilus permet donc de raconter toute cette terrible guerre et ses drames.

C’est le but de ce qu’on a ppelle improprement le devoir de mémoire et que l’on devrait dénommer plus justement le devoir d’Histoire.

Alors que les derniers témoins disparaissent, cette histoire perd de sa réalité pour ne devenir qu’une liste de livres et de films.

En commémorant nos morts, en racontant leur vie, on leur rend hommage mais on se souvient aussi d’eux, des êtres de chair et de sang.

C’est ainsi que l’on pourra transmettre et évitez que la Grande Guerre ne devienne juste une fiction.