jeudi 13 décembre 2012

Depardieu aurait-il raison ?

Depuis le traité de Maästricht, et depuis bien avant encore, d'aucun, à gauche comme à droite, vante la libre circulation des personnes et des biens comme un acquis essentiel de la Construction Européenne. Soit ! Lorsqu'il s'agit d'une entreprise qui rapatrie ses capitaux ou délocalise, il ne faut pas critiquer. Soit ! La commission européenne ne cache même pas que derrière l'accélération récente de la libre circulation des travailleurs, sans harmonisation fiscale, ni celle du droit du travail, se trouve la volonté de pousser à la baisse des salaires afin de rendre l'Union plus compétitive dans la Mondialisation. Mais lorsque Gérard Depardieu ou Bernard Arnauld prennent ces droits propres à la "citoyenneté européenne" à la lettre, c'est le tolé... Mais non, en bon citoyens européens, ils ne font qu'appliquer ce que ces politiques qui s'étranglent aujourd'hui, pronaient hier dans leur professions de foi. Et puis après avoir affirmé que l'idée même de patriotisme était dépassée, se servir de celle de patriotisme fiscal semble bien saugrenue. Ne parlons même pas des déclarations de quelques parlementaires exités voulant déchoir de leur nationalité les exilés fiscaux alors même qu'une telle loi serait contraire aux textes européens qui, rappelons-le quand même, sont supérieurs à ceux votés par les représentants de la Nation.

mercredi 17 octobre 2012

Le plus grand ministre de l'Education Nationale, François Bayrou

François Bayrou est le plus grand ministre de l'Education Nationale qu'on nous ayons eu parce qu'il n'a strictement rien fait. Oui, l'Education Nationale est malade.. des réformes. En ne faisant rien, François Bayrou n'a rien fait de mal. Nous commençions seulement à sentir et à pouvoir mesurer les effets de la réforme de Robien (qui n'a pas supprimé la méthode globale que plus personne n'utilisait mais a rétabli l'enseignement de l'orthographe et de la grammaire avec des règles et du vocabulaire à apprendre) et hop voici la réforme Peillon. Chaque ministre veut sa réforme et bien sûr il commence par prendre le contrepied de son prédecesseur. Au passage, c'est le pouvoir au sein de l'administration centrale qui change de main avec ses cohortes de faux pédagogues... Après les fondés de pouvoir du libéralisme voici revenus les théoriciens de l'école où il ne faut surtout pas apprendre... Et oui, je le redis, vive François Bayrou.

mardi 16 octobre 2012

Vincent Peillon, tout sauf un gaffeur !


Qui peut croire que Vincent Peillon a gaffé et qu'il a  ensuite été sérieusement recadré par le président et le premier ministre sur l'affaire du cannabis. Tout ceci apparaît en réalité comme une opération de comm' rondement menée par les services de l'Elysée. Alors que la courbe de popularité du premier français s'effondre et qu'elle entraîne avec elle celle de Jean-Marc Ayrault, l'affaire arrive à point nommé pour occuper les médias durant une semaine ou deux. Mieux, le débat permet un replatrage dans la majorité et notamment avec les Verts qui ont voté contre le traité européen.

Sur le fond, la dépénalisation ou la légalisation, c'est un débat complètement dépassé. Les produits (certains modifiés génétiquement), les effets (voir le développement explosif de nouvelles pathologies...), les modes de consommation (ce n'est plus le petit pétard festif et occasionnel des années 70) et les circuits de vente ont complètement changé à tel point que la séparation entre drogues dures et drogues douces s'efface. Le prix de vente extrêmement bas de l'héroïne (20 euros la dose...) fait aussi que la passage de l'une à l'autre se trouve facilité (grâce notamment à une consommation sniffée...). Enfin, l'explosion du trafic de cigarettes prouve que la légalisation ne fera pas cesser la vente illégale...

mercredi 3 octobre 2012

"De Gaulle sous tous les angles " (titre provisoire)



L'association Demain de Gaulle et le centre culturel Charles de Gaulle de Lorraine organisent en coopération avec la mairie de Nancy, le pôle de l'image et de nombreux partenaires, une exposition intitulée "De Gaulle sous tous les angles" essentiellement centrée sur le thème de la réconciliation franco-allemande.


Elle s'appuie sur un fond photographique issu de l'ancien journal "L'Eclair de l'Est" versé aux archives du centre Charles de Gaulle de Nancy.


Elle sera inaugurée le samedi 10 novembre à 10:00 à Nancy (centre Charles de Gaulle, 7 place Carrière 54000 Nancy puis mairie de Nancy) et réserve de nombreuses surprise.

Jean-Max Gettmann - Responsable du comité d'organisation
Frédéric Schwindt - Commissaire de l'exposition

lundi 17 septembre 2012

Jusqu'où ne pas aller trop loin : vers une nouvelle Guerre Froide !



L'auteur de ses lignes fait partie de ceux qui ont toujours pensé que le prétendu "choc des civilisation" d'Huntington n'existait pas et que les évènements auxquels nous assistons - le dernier en date cette manifestation hier devant l'ambassade des Etats-Unis de Paris - n'étaient que des dégâts collatéraux de la grande guerre civile qui affecte depuis vingt le monde arabo-musulman. Comme spécialiste des religions, loin des pseudo-prières de rue montées en épingle lors de la défunte campagne présidentielle ou la question du Hallal, j'ai bien dû constater que nos concitoyens musulmans sont autant voire plus dé-musulmanisés que les catholiques sont déchristianisés (manque de repères qui explique au passage l'attrait pour un Islam radical d'autant plus séduisant qu'il est mal connu). Comme citoyen enfin et élu local, mon attachement aux valeurs de la République et à la laïcité fait que j'ai toujours considéré la religion comme une affaire privée et que je me suis refusé à toute instrumentalisation.
 
Mais les provocations des extrêmistes de tout bord - en réfléchissant bien les extrémistes israéliens, les salafistes et les fondamentalistes protestants américains sont des alliés objectifs - remplissent pleinement leur office qui est, par le double jeu provocations / répressions, de marginaliser les modérés pourtant largement majoritaires. 
 
Voilà pourquoi je pense que nous sommes en train d'entrer dans une nouvelle Guerre Froide faite de conflits locaux mais limités, d'une tension accrue au niveau mondial (d'autant plus difficile à appréhender qu'elle est largement transversale) et d'une guerre civile froide larvée dans de nombreux pays notamment les pays occidentaux.
 
Cette situation jointe à l'action des extrémistes va nous amener à un point où nous n'aurons plus le choix que de choisir un camp !
 
 

samedi 3 mars 2012

Sur la règle d'or européenne : tous les états n'assument pas les mêmes charges

L'imposition de la règle d'or à l'ensemble des états européens est absurde. D'abord, une telle mesure ne peut se concevoir - si elle possède autre chose qu'une vertu d'annonce en direction des marches financiers - qu'après une mise à plat de la fiscalité et de la protection sociale. Il est aussi évident que les besoins ne sont pas identiques d'un pays à l'autre. Le vieillissement de la population commun à l'ensemble de l'UE n'est pas arrivé partout au même point, donc les charges causées par la structure de la population ne sont pas partout pareilles. En revanche, des états comme l'Irlande ou la France font relativement beaucoup d'enfants alors que l'Allemagne ou l'Italie atteignent difficilement un enfant par femme. Les charges consacrées à l'éducation et à la formation ne sont donc pas comparables. Enfin, seuls le Royaume Uni et la France et, d'une manière moins importantes, l'Allemagne, l'Italie et l'Espagne ont encore une véritable politique de défense (>=1,5 % PIB). La plupart des pays de l'UE ont baissé de manière drastique leurs budgets de défense (largement en dessous de 1% du PIB) au prétexte que les autres peuvent assurer cette fonction pour eux. OK donc pour la règle d'or mais que l'Union Européenne organise de concert des transfert budgétaires des pays qui renoncent à assumer certaines fonctions au profit de ceux qui le font. Toutes les économies européennes profitent par exemple du travail de la marine nationale française qui surveille le golfe d'Aden contre les pirates somaliens. Il est enfin surprenant que la seule solution trouvée pour limiter les déficits budgétaires soit de punir le contrevenant, qui connaît donc de graves difficulltés, par des amendes pouvant aller jusqu'à 1 % du PIB.

dimanche 19 février 2012

De Gaulle parmi les écrivains


Le général de Gaulle (1890-1970)



parmi les écrivains



La rédaction du premier tome des Mémoires
de Guerre
[1]





« Il n’y a de querelle qui vaille que d’homme »





Tout un courant de la critique
littéraire des années 1960 avançait qu’il n’était pas utile de connaître la vie
d’un auteur pour étudier ses textes. Sans doute est-il utile de déconstruire
les Mémoires du général de Gaulle
afin de révéler leur idéologie interne, certains s’y sont essayés, mais ce ne
sera pas notre approche. Historien, notre objectif est beaucoup plus
prosaïque : replacer de manière classique le général de Gaulle dans son contexte.
Mais voilà, il n’est pas qu’un écrivain ou un personnage historique, c’est
aussi un mythe. Ce qui complique sérieusement l’analyse.



La
décision de la commission des programmes de proposer le tome III des Mémoires de Guerre aux élèves de
terminale est en effet à l’origine d’une polémique, certes pas très longue mais
révélatrice qu’il est encore difficile d’évoquer le sujet, 42 ans après sa mort
le 9 novembre 1970. Mais bon, lui-même a écrit que les seules querelles importantes
sont celles qui placent l’homme au centre de la dispute.



Plutôt
qu’un plan purement chronologique qui se contenterait de suivre le déroulé des
Mémoires, il semble utile de procéder à quatre mises au point successives. Tout
d’abord, pourquoi ne pas seulement essayer d’étiqueter de Gaulle en le situant
par rapports aux autres écrivains et notamment ceux, hommes politiques ou non,
qui ont fait œuvre de mémorialiste ? Lorsque de Gaulle est né, en 1890,
radio, cinéma et télévision n’existaient pas. L’environnement culturel du
tournant du nouveau siècle, radicalement différent de celui que nous
connaissons, était cependant en plein renouvellement. Il faut donc rechercher
les sources intellectuelles qui ont constitué la culture du général de Gaulle
et les modèles qui l’ont forgé lui-même. Marqué par ce climat et un
environnement familial qui plaçait justement la culture au-dessus de tout, le
futur général a commencé à écrire dès le collège. Mais il s’est spécialisé dans
le domaine de la littérature militaire. Après la Première Guerre Mondiale,
il acquiert même une certaine reconnaissance dans le milieu étroit de la
stratégie et de la géopolitique. Lorsqu’il débute la rédaction des Mémoires de Guerre, en 1946, il est en
revanche devenu une personnalité considérable qui continue de jouer un rôle
majeur dans la vie politique du pays.





I –
ETIQUETTER DE GAULLE.





Avant
les écrivains proprement dits, commençons par situer de Gaulle parmi les autres
personnages historiques qui ont écrit et notamment les hommes d’Etat. La liste
est bien sûr un peu arbitraire.





1
– Les Hommes Politiques qui écrivent leurs mémoires.





Si
on excepte Ramsès II (XIIIe siècle av. J.C.) et le récit de la bataille
de Qadesh, le modèle des mémoires nous a été légué dès l’Antiquité par l’athénienThucydide[2] et saGuerre du Péloponnèse (411 av. J.C.)
puis par l’empereur Auguste et ses Res Gestae Divi Augusti (13 ap.
J.C.).





Les Antiques.





Ces
textes étaient bien connus de De Gaulle, sans doute depuis l’adolescence, car
ils les avaient étudiés à l’école. Les élèves devaient en effet les traduire à
partir du grec et du latin et s’en imprégner comme d’un modèle. A un âge avancé,
le Général en connaissait d’ailleurs encore par cœur de larges extraits. Même
chose avec Saint-Augustin (mort en
430) même si ce n’était pas à proprement parler un homme politique. De Gaulle
avait médité les Confessions de ce
père de l’Eglise, un monument de l’antiquité tardive et un exemple pour tous
les mémorialistes postérieurs[3]
commencer par Rousseau au XVIIIe
siècle). Or, tous les trois ont vécu à un moment qui constitue une césure
importante dans l’histoire de leur propre civilisation. Thucydide avait
occupé la charge de stratège, une fonction à la fois politique et
militaire, et il avait connu la défaite. Ostracisé (exilé), il vit s’effondrer
l’impérialisme athénien. Auguste avait quant à lui mis fin aux guerres civiles
et fondé un nouveau régime : l’Empire romain. Toute une partie de l’œuvre
de Saint-Augustin est enfin une méditation sur le temps et sur l’histoire au
moment où le christianisme prend son envol et que l’Empire romain d’occident
entame sa dissolution. On comprend l’influence que ces trois personnages ont pu
avoir sur l’homme du 18 juin puis sur le fondateur de la Ve
République. En 1958, suite à la guerre d’Algérie, de Gaulle et la France
doivent en effet affronter une IVe République bloquée ainsi que des
menaces de coup d’Etat et de guerre civile.



Mais
passons les siècles, laissons Charlemagne, Philippe Auguste et Saint-Louis, les
rois et les empereurs qui étaient autrefois proposés comme référence tant à
l’école laïque que dans les écoles catholiques. On aurait cependant pu évoquer,
pour le Moyen Age, les grands chroniqueurs que sont le sire de Joinville (v. 1224-1317) ou Froissart (1333 –
ap. 1400)[4].





Les monstres sacrés : Napoléon – Louis XIV –
Churchill.





Afin
de s’inspirer du style, Stendhal affirmait qu’il lisait toujours quelques pages
du Code Civil avant de se mettre à sa table de travail. Cette anecdote fait
penser à Napoléon ou plutôt à Bonaparte qui a rédigé lui-même ou plutôt dicté –
c’était sa manière de faire – des pans entiers du Code Civil. L’iconographie a
conservé des images le montrant en train de tourner en rond dans son bureau des
Tuileries pendant que quatre ou cinq secrétaires, debout devant des écritoires,
notaient ses paroles sur plusieurs sujets différents en même temps. Dans les
années 1670-80, Louis XIV (1638-1715)
avait déjà procédé d’une manière équivalente pour donner un document
excellent : les Mémoires à
l’intention du Dauphin
, une suite de conseils pour l’héritier du trône qui
tourne à une réflexion sur le pouvoir.



Entre
août 1944 et janvier 1946, période qui correspond peu ou prou au tome III des Mémoires de Guerre, Gaulle préside le
gouvernement provisoire de la République Française. Il est revenu à Paris à la
suite de la 2e DB du général Leclerc. Or, sa manière de travailler
ne devait pas être très différente. En effet, il lui revenait de rétablir la
légalité républicaine et d’empêcher la guerre civile tout en achevant la
libération du territoire. Il fallait aussi remettre l’économie française en
marche, nourrir 40 millions d’habitants et replacer la France à son rang dans
les relations internationales… Vaste programme ! Or, au moment d’engager
un secrétaire, il demande non pas un homme politique ou un technicien mais un
normalien sachant écrire. On lui adresse Georges
Pompidou
(1912-1974), alors simple professeur de lettres et grand
spécialiste de la poésie, qui deviendra à son tour, mais beaucoup plus tard,
Premier Ministre (1961-1968) et Président de la République (1969-1974).



A
la fin de sa vie, malade, Napoléon (1769-1821)
dicta aussi un chef d’œuvre, le Mémorial
de Sainte-Hélène
, des mémoires en forme de testament politique, alors qu’il
est lui-même prisonnier des anglais à 8000 kilomètres de la France et que son
fils, le duc de Reichstag, est élevé chez l’ennemi, à la cour de Vienne.
Napoléon aurait peut-être pu s’évader de Sainte-Hélène mais il a ouvertement préféré
se concentrer sur sa postérité… En 1969, de Gaulle n’a pas besoin de s’évader
mais il quitte volontairement le pouvoir après un référendum raté qu’il avait
sciemment provoqué. Il a en réalité préparé sa sortie. Il craint la vieillesse
qui est pour lui aussi une prison. Le fait de voir décliner, tant physiquement
que moralement, son vieil ami / ennemi Churchill a sans doute également compté.



Churchill(1874-1965) et de Gaulle ont entretenu pendant trente ans une relation à la
fois profonde et conflictuelle. Winston Churchill qui a dirigé le Royaume Uni
durant la seconde guerre mondiale appartient quasiment à la même génération que
de Gaulle et il est d’une stature équivalente, hormis l’attrait pour le whisky que
le Général ne goûtait guère. Comme lui, c’était un grand orateur doué du sens
de la formule qui fait mouche. De nombreux discours sont restés dans les
mémoires. Par exemple, au début de la guerre, celui où il promet aux anglais
« du sang et des larmes »
et « au bout la Victoire »
et l’autre, après le débarquement en Normandie, lorsqu’il affirme que cet
évènement marque le commencement de la fin pour le régime nazi. Comme de
Gaulle, Churchill a le sens de la durée. Contrairement à beaucoup d’autres hommes
politiques, il ne se concentre pas seulement sur l’immédiat, même s’il a des
affaires très graves et très difficiles à traiter dans le présent. Il s’insère
dans une passé déjà profond - France et Angleterre ne sont pas nées d’hier - et
il se projette dans le futur. Le pays n’est donc pas envisagé par les deux
mémorialistes seulement comme un territoire ou une entité politique mais aussi comme
un être vivant qui possède un destin. On peut résumer le propos en disant
qu’ils avaient un certain sens de l’Histoire.



Ils
publient leurs mémoires au même moment et en France chez le même éditeur :
Plon. Ils ne procède en revanche pas du tout de la même manière. De Gaulle
rédige trois tomes finalement assez courts (complétés par une grande quantité
de documents ajoutés en annexe) alors que Churchill livre une véritable somme.
Evincé du gouvernement après les élections de 1945, il doit gagner sa vie et il
trouve en effet plus profitable d’allonger et d’étaler la parution de ses
mémoires dans le temps. Confronté au même problème, de Gaulle décide quant-à
lui de réduire son train de vie. Il refuse également une reconstitution de
carrière (l’élévation au rang de général d’armée : 5 étoiles) ce qui lui
aurait permis d’augmenter sa pension… Enfin, la manière de travailler est très
différente. De Gaulle écrit seul alors que Churchill dirige un travail
d’équipe… Il n’a écrit personnellement que le premier tome, très bon
d’ailleurs, sur sa jeunesse et sa participation à la guerre des Boers au début
du XXe siècle en Afrique du Sud. De Gaulle en revanche n’évoque
jamais ce qui lui est personnel et notamment son enfance ou ses combats de 1914-1916.
En 1953, Churchill obtient en revanche le prix Nobel de littérature pour ses
mémoires.





Les tentations
du mémorialiste.





La comparaison de Gaulle / Churchill
pose finalement assez bien les pièges qui guettent les mémoires des hommes
politiques : le problème de l’argent lorsqu’ils ont quitté les affaires et
celui des nègres, c’est-à-dire des auteurs qui sont embauchés pour se glisser
dans la peau du mémorialiste en titre. Certains ont le talent de savoir
s’entourer et l’honnêteté de le reconnaître. L’ancien président de la
République Jacques Chirac (1995-2007)
a ainsi publié une dizaine d’ouvrages et deux tomes de mémoire, qui ont
constitué un très gros succès de librairie, sans jamais avoir écrit une seule
ligne. Mais il n’a jamais feint d’en être le véritable auteur et il a toujours
laissé filtrer le nom des véritables rédacteurs.



Aux Etats-Unis, publier des mémoires
est enfin quasiment une obligation puisque les présidents finissent très
souvent leur mandat ruiné… C’était le cas d’Ulysse Grant (1822-1885), un des chefs de l’armée nordiste pendant
la guerre de sécession, devenu chef de l’Etat à la fin des années 1860, et qui
le premier s’est mis à écrire pour nourrir sa famille. Bill Clinton (1992-2000), quant à lui, a publié ses mémoires et
assuré des tournées de conférences à 100 000 dollars la soirée afin de
solder ses dettes et de payer ses avocats. Dans le cas d’Ulysse Grant et de Georges W. Bush (2000-2008), le livre avait
aussi permis de défendre un bilan politique sommes toutes très contrasté.



Le problème se pose de manière très
crue pour ceux qui ambitionnent d’entrer à l’Académie Française mais qui n’ont
matériellement pas le temps d’écrire parce qu’ils sont absorbés par les charges
gouvernementales. Il leur faut malgré tout sortir quelques textes de
circonstances afin d’appuyer leur candidature. Or, Raymond Poincaré (1860-1934), président de la République durant la
Grande Guerre, s’est attaqué à ses mémoires longtemps après son entrée chez les
Immortels. Avant, il s’est contenté de demander à son ancien directeur de
cabinet, lorsqu’il était ministre des finances et ce qui est moins connu
ministre de la culture (on plutôt des beaux-arts comme ont disait à l’époque),
de regrouper ses discours en plusieurs volumes.



Une
dernière catégorie concerne des hommes politiques devenus mémorialistes malgré
eux parce que leur journal, un texte à usage personnel, est devenu par la suite
une mine d’informations pour les historiens. Le journal de Vincent Auriol, premier président de la IVe République
(1946-1953) et contemporain de De Gaulle, fourmille de détails. Comme il
n’était pas au départ destiné à être publié et qu’il a été écrit à chaud, sur
le coup de l’évènement, il ne contient donc ni autocensure, ni réécriture.





Nègre pour Pétain.





En
1929, le maréchal Pétain (1856-1961)
veut lui aussi entrer à l’Académie Française où siégeait déjà son ennemi, le
maréchal Foch. Mais contrairement à Foch qui a publié pendant quarante ans de
nombreuses études militaires, Pétain n’est pas très porté sur l’écrit. Il prend
donc à son cabinet de jeunes officiers brillants dont il apprécie la plume pour
qu’ils puissent produire à la chaîne les textes exigés. Parmi eux, il y a de
Gaulle dont Pétain suit la carrière depuis sa sortie de Saint-Cyr en 1912. A cette
époque, le lieutenant de Gaulle avait en effet été affecté au régiment
d’infanterie d’Arras, dans le nord de la France, que commandait alors le
colonel Pétain. La rupture interviendra néanmoins lorsque le maréchal voudra
sortir sous son nom une histoire du soldat français que de Gaulle est en train
de rédiger… C’est très réducteur en matière d’explication historique mais
imaginons un instant que l’appel du 18 juin se soit réduit à une simple
querelle d’égo.



Autrefois,
le cursus des hommes politiques était essentiellement littéraire ou juridique,
souvent les deux à la fois comme dans le cas de François Mitterrand (1916-1996) qui détenait une licence de
lettres, une licence de droit et un diplôme de sciences politiques. Ceci
explique qu’ils avaient une très large et très profonde culture, un goût réel
pour l’écriture et parfois un véritable talent. Dans tous les pays occidentaux,
la formation des hommes politiques fait aujourd’hui la part belle à l’économie,
à la technique administrative et surtout à la communication. Comme pour chacun
d’entre nous, cette évolution risque de provoquer une véritable rupture avec
l’écrit au point que certains se vantent (de manière feinte pour Jacques Chirac
ou réelle pour Nicolas Sarkozy) de n’avoir aucune culture voire de mépriser la
langue ou la littérature.





2
– Les écrivains qui font de la politique.





Si des hommes d’Etat ont écrit, des
écrivains ont aussi tenté une carrière politique. Ils sont même très nombreux
au XIXe siècle.





Les grands du XIXe siècle.





Pour
de Gaulle, né en 1890, ce sont presque encore des contemporains. Quelques
années auparavant, les obsèques nationales de Victor Hugo (1802-1885) ont profondément marqué les
contemporains notamment l’écrivain Maurice Barrès, qui n’était pourtant pas du
même bord politique que lui. Certains ont été encensés par les autorités. Hugo,
par exemple, est nommé pair de France par Charles X et il le reste sous la
Monarchie de Juillet (en changeant au passage d’affiliation politique :
d’abord royaliste légitimiste puis Orléaniste, il finira républicain). Ce n’est
pourtant pas qu’une fonction honorifique. Au « Sénat », l’auteur de « Notre-Dame de Paris » joue un rôle
important dans le développement des lois sociales, notamment contre le travail
des enfants et en faveur de l’éducation. Châteaubriant
(1768-1848), dont les « Mémoires
d’Outre-tombe
» furent méditées par de Gaulle, est ministre des
affaires étrangères au début de la Restauration et il rêve de devenir le
premier ministre de Louis XVIII. Stendhal
(1783-1842) entame aussi une carrière de diplomate après avoir raflé des
dizaines d’œuvres d’arts en Italie au profit de Napoléon et des musées
français.



D’autres auteurs, parfois les mêmes,
ont eu maille à partir avec les autorités : Jules Vallès (1832-1885) au moment de la Commune de Paris (1871) ouEmile Zola (1840-1902) au moment de
l’Affaire Dreyfus. Or, cette affaire a fortement marqué la famille de Gaulle.
Mais la meilleure comparaison possible reste encore avec Victor Hugo qui rompt
avec Napoléon III après le coup d’Etat du 2 décembre 1851 et contre lequel il
écrit un pamphlet : « Napoléon
le Petit
». Hugo s’exile à Jersey puis à Guernesey d’où il attend
pendant dix-huit ans la chute du Second Empire. De Gaulle rompant lui aussi
avec le devoir d’obéissance quitte la France pour l’Angleterre le 17 juin 1940
et, le jour suivant, il lance depuis la BBC son appel à la résistance. Au
moment de son retour au pouvoir en 1958, après les évènements d’Algérie, peut-être
a-t-il pensé à ne pas devenir un Napoléon-le-Petit… De la même manière, dès les
premières lignes des Mémoires, la
réflexion gaullienne sur les racines de la France et son destin fait écho à la
partie épique de l’œuvre d’Hugo, « La
légende des siècles
» par exemple.



Le
baron Alexis de Tocqueville (1805-1859)
occupe une place à part. Ministre des affaires étrangères de la IIe
République et un de ceux qui ont rédigés sa constitution, ce n’est pas un
romancier mais le fondateur de la sociologie politique, avec des ouvrages comme
« De la démocratie en Amérique »,
à une époque où des textes techniques pouvaient aussi être de grands textes
littéraires. Ecrivain militaire, de Gaulle avait sous les yeux un exemple très exigeant.





Les grands serviteurs de l’Etat.





Après les écrivains qui ajoutent à
leur carrière dans les lettres des fonctions de ministres ou de parlementaires,
viennent les hauts fonctionnaires. Suite aux exemples fameux de Châteaubriant
et de Stendhal, être diplomate et écrire fut même longtemps une tradition,
presqu’un lieu commun. Le dramaturge Jean
Anouilh
(1910-1987) a été responsable de la propagande, c’est-à-dire de la
communication gouvernementale, au début de la Seconde Guerre Mondiale. Or, sa
pièce « Antigone »,
inspirée de Sophocle, pose justement le problème du conflit entre le devoir et
la conscience, dilemme qui emplit de Gaulle au moment de rompre en 1940, lui
qui connaît par cœur des passages entiers de Sophocle (Ve siècle avant J.C.) ou de Racine (1639-1699) sur des thèmes
voisins… Le poète Saint-John Perse
(Alexis Léger – 1887-1975), secrétaire général du ministère des affaires
étrangères, fut quand à lui un opposant. Parti en Amérique, mais encore assez
proche de Vichy, il passa toute la guerre à prévenir l’administration Roosevelt
contre le chef de la France Libre. En revanche, une admiration réciproque lia
dès cette époque l’auteur de théâtre Paul
Claudel
(1868-1955) et de Gaulle.





Naissance des intellectuels.





L’enfance de Charles de Gaulle s’est
déroulée à une époque très importante. Les années 1890-1905, celles de l’Affaire
Dreyfus, voient en effet apparaître une figure nouvelle dans l’opinion
publique : l’intellectuel (une personne vivant de sa plume et qui s’engage
dans le débat public). Rappelons le contexte. En 1894, un officier juif (et
alsacien) est accusé de haute trahison au profit de l’Allemagne et il est
condamné au bagne. Quelques années plus tard, on apprend qu’il était innocent
mais l’armée, soutenue par le gouvernement, refuse de revenir sur la
condamnation. Il s’ensuit une crise politique terrible et la division du pays
et du paysage culturel en deux camps : dreyfusards contre antidreyfusards.
La crise culmine avec la publication dans le journal de Clemenceau d’un
éditorial d’Emile Zola intitulé « J’accuse ! »(13 janvier 1898) qui vaudra à
celui-ci une condamnation, un exil et plus tard un assassinat politique. Le
père de Gaulle, professeur catholique et royaliste légitimiste, choisit
pourtant sans hésiter le camp dreyfusard. C’est le déclic qui a conditionné
beaucoup des engagements futurs du Général et son admiration profonde pour des
écrivains dreyfusards comme Charles Péguy et la Revue Blanche[5].



De
Gaulle est-il donc un intellectuel ? Sans aucun doute dans les années 1930
mais dans son domaine de prédilection de la pensée militaire. A cette époque,
il approche en effet le monde politique afin de le convaincre de la nécessité
de doter la France d’une force blindée, en dépassant la limite traditionnelle
du devoir de réserve, ce qui lui vaudra d’ailleurs un ralentissement de sa
carrière. Cette imprégnation de jeunesse explique en tout cas le bon accueil
fait à René Cassin (1887-1976),
futur prix Nobel de la paix, qui se présente à de Gaulle à Londres en 1940
« comme un vieux professeur juif et
de gauche
».



La figure de l’écrivain engagé a
donc fortement marqué de Gaulle. De la vient aussi la longue amitié avec André Malraux (1901-1976) qui sera
longtemps ministre à ses côtés. Malraux qui a commencé sa carrière à gauche,
dans la dénonciation du colonialisme et du fascisme, a définitivement trouvé en
lui sa figure tutélaire. Certes, le romancier a servi dans les brigades
internationales au cours de la guerre d’Espagne puis il a constitué, en 1944,
la célèbre brigade Malraux qui combat courageusement pour la libération des
Vosges et de l’Alsace. Mais il y a aussi chez lui un côté affabulateur. Ses « Anti-Mémoires » sont d’ailleurs de
manière assumées des mémoires réinventées. A la fin de sa vie, Malraux est même
une des rares personnalités que de Gaulle reçoit encore à Colombey et il fait
de ses entretiens ré-imaginés une œuvre magnifique : « Les chênes qu’on abat ».



Il faut enfin évoquer les salauds.
Le talent voire même le génie ne protège pas des mauvais choix et de la
fascination pour le mal. Certains des plus grands écrivains français des années
1930 ont choisi Vichy et la collaboration : Céline (1894-1961), l’auteur du « Voyage au bout de la nuit » qui était un antisémite fanatique, Drieu la Rochelle (1893-1945) et même Ramon Fernandez (1894-1944) [6], le
plus grand critique littéraire de l’époque. Lorsqu’il était au pouvoir, De
Gaulle a toujours refusé qu’on fasse des ennuis aux écrivains qui s’opposaient
à lui ; Sartre par exemple en qui il voyait une sorte de Voltaire moderne.
Mais dans le cas du journaliste et écrivain Robert Brasillach (1909-1945), condamné à mort à la Libération, il
s’agissait d’un tout autre problème. De nombreux auteurs, de tous les bords
politiques et mêmes des résistants étaient pourtant intervenus auprès de De
Gaulle afin d’obtenir sa grâce, au prétexte que Brasillach n’aurait pas eu de
sang sur les mains. Admirateur du nazisme, il avait pourtant écrit, au sujet de
la déportation des juifs, qu’il fallait « commencer par les petits ».
Logique, de Gaulle considère que le talent éventuel n’empêche pas de devoir
répondre de ses actes. Condamné à mort par Vichy, nul doute que De Gaulle
aurait d’ailleurs lui-même été exécuté.





3
– Les militaires écrivains. Un technicien ?





Donc Charles de Gaulle est un homme
politique qui rédige des mémoires et c’est un intellectuel marqué par
l’extraordinaire richesse littéraire de son époque. Mais c’est d’abord un
militaire qui écrit, sujet facile à plaisanterie puisqu’on à parfois du mal à
associer talent et uniforme. C’est oublier les précédents. Au XVIIIe
siècle, Choderlos de Laclos (1741-1803),
l’auteur « Des liaisons dangereuses »,
était lui-même un officier du roi. A l’inverse, son ami le chevalier de
Saint-Georges, le Mozart noir, fut fait général sous la Révolution, comme les
pères de Victor Hugo et d’Alexandre Dumas (1802-1870). Un peu
plus tard, Alfred de Vigny (1797-1863),
un contemporain de Victor Hugo dans le courant romantique, avait débuté sa
carrière par un ouvrage intitulé « Servitude
et Grandeur de la Condition Militaire
».



Mais
de Gaulle n’est pas un auteur de fiction, encore moins un romancier. Il a connu
l’expérience du feu mais il n’écrit pas les « Croix de bois » (Dorgelès
– 1885-1963) ou « Orages d’acier »
(Ernst Jünger – 1895-1996), deux des
grands bestsellers de l’entre deux guerres en France et en Allemagne et il ne
raconte pas ses souvenirs de combat comme Maurice
Genevoix
(1890-1880). Les horreurs vécues au front ne le pousseront pas
vers les nouvelles frontières de l’imaginaire à l’image des Surréalistes. Non, c’est d’abord un
technicien qui publie des études en même temps qu’il rédige des rapports pour
l’Etat Major, ce qui lui vaut d’ailleurs à la fois des jalousies et des
moqueries dans le petit monde de la technocratie militaire. Il faut savoir que
les stratèges ne font pas carrière. Ils sont estimés ou ils sont combattus mais
ils ne montent pas très haut dans la hiérarchie militaire, à l’exception
notable du maréchal Foch. De Gaulle a en tête des auteurs, comme le français Ardant le Picq (1821-1870), qui
insistent tous sur le fait que rien n’est assuré à la guerre et que le chef se
doit de réagir avec pragmatisme à l’évènement[7]. Il a
aussi un modèle : le lieutenant-colonel
Mayer
(1851-1938)[8], un
officier juif, plutôt de gauche, admirateur de Jaurès et aux idées stratégiques
hétérodoxes. Il devient son ami et fait auprès de lui ses premières armes en
publiant des articles dans des revues spécialisées.



Un
autre auteur l’a profondément marqué mais d’une manière indirecte, le lieutenant-colonel Driant (1855-1916).
Officier brillant mais dont la carrière a été brisée, il était le gendre du
général Boulanger, Emile Driant s’est reconverti dans la politique, comme
député de Nancy, et dans la littérature en prenant la succession de Jules Verne
avec des romans qui mêlent au thème de la guerre future, anticipation
technologique et prospective géopolitique. Pour l’anecdote, il publie en 1910 un
roman où il prévoit une guerre entre Japonais et Américains dans le Pacifique
et une importante bataille navale et aérienne autour de l’île de Midway… Comme
de Gaulle qui se passionne après guerre pour les chars, Driant, même rendu à la
vie civile, est resté proche de ces officiers comme le commandant Ferrier qui
expérimentent l’aérostation, l’aviation ou la TSF (télégraphie sans fil = la
radio). Or, le hasard veut que Driant soit tué au bois des Caures, à la tête de
ses chasseurs, lors du déclenchement de l’attaque des Allemands sur Verdun en
février 1916, quelques semaines seulement avant que de Gaulle ne soit lui-même porté
disparu, à quelques kilomètres de là, lorsque sa compagnie est décimée à côté
du fort de Douaumont.



Le
général Lyautey (1854-1934), futur
maréchal, auteur en 1891 d’un essai remarqué : « Le rôle social de l’officier », a impressionné toute la
génération d’officiers à laquelle de Gaulle appartient. C’est un lorrain rallié
par la force des choses à la République qui, à l’inverse de la tendance du
corps des officiers et de son milieu d’origine, veut à l’époque ouvrir l’armée
sur la société. Jeune lieutenant en 1912, De Gaulle a en tête les préceptes de
Lyautey lorsqu’il est placé à la tête d’une section d’appelé du régiment
d’Arras. Après la Première Guerre Mondiale, de Gaulle qui est un fantassin, découvre
le général Estienne. Ce meusien natif des Hauts-de-Chée, qui a fait sa classe
préparatoire au lycée de Bar-le-Duc, est en effet le père des chars de combat.



Après
avoir publié de nombreux articles dans des revues spécialisées, de Gaulle
devient professeur d’histoire à Saint-Cyr (l’école était à cette époque en
région parisienne), puis conférencier à l’école de guerre (à l’école militaire
en face de la tour Eiffel). Or, après la couverture des frontières, le rôle du
chef, la question psychologique dans la conduite de la guerre ou la
mobilisation économique, il engage justement au début des années 1930 une
réflexion sur l’arme blindée en totale rupture avec la pensée stratégique
dominante en France. Beaucoup plus tard, il élargira cette réflexion à la force
de frappe (l’arme nucléaire et la dissuasion). L’idée est toujours la même. Comment
transformer le territoire national en un sanctuaire que les fortifications
placées aux frontières, la ligne Maginot ou l’armée conventionnelle ne peuvent
plus protéger ? Dans le contexte de la guerre froide, de Gaulle, premier
président de la Ve République (1958-1969), insistera avec force sur
le thème de l’indépendance nationale et sur la nécessité pour le pays de se
doter de l’arme nucléaire afin de se protéger de l’Union Soviétique et d’être en
même temps autonome par rapport aux Etats-Unis[9]. Donc,
au moment où il rédige ses mémoires, de Gaulle est resté un écrivain militaire
qui continue de réfléchir aux problèmes stratégiques de son temps avec son
ministre des armées Pierre Messmer (1916-2007). Son attention va jusqu’aux détails. Par
exemple, il a écrit lui-même la plus grande partie de l’ordonnance (une loi) de
1959 qui organise la défense nationale comme un système global qui associe
défense militaire, défense civile et défense économique – ce qui était très
nouveau pour l’époque - mais aussi le RDGA, le règlement de discipline valable
au sein des armées.



Quand
il écrit, de Gaulle raconte une défaite qu’il avait largement prophétisée. Ses
mémoires constituent donc aussi une justification de la politique qu’il compte conduire
afin de protéger la France d’une nouvelle surprise stratégique. En tout état de
cause, après l’exemple de Clemenceau (1841-1929) en 1917, il rompt une digue
officieuse qui séparait hommes politiques et généraux et qui affectait à chacun
un rôle autonome. Loin de placer le gouvernement sous la coupe des militaires,
il considère (mais c’était déjà l’idée de Clausewitz) que c’est aux politiques
d’exercer leurs responsabilité en conduisant une réelle politique de la guerre.



Si
de Gaulle est resté longtemps un auteur militaire, ses lectures et ses
centres d’intérêts vont bien au-delà. Mieux, lorsqu’il analyse tel cadre
stratégique ou tel commandant en chef, il s’intéresse tout autant aux faits
objectifs : la géographie, les forces en présence, qu’à la psychologie des
acteurs. Quand il affirme que « la
culture générale est la véritable école de commandement
» ou qu’au
« fond des victoires d’Alexandre, on
retrouve toujours Aristote
», il prône l’acquisition par les officiers,
mais aussi de tout responsable public, d’une culture la plus large possible.
Seule cette culture permettra selon lui aux chefs de rompre avec les pesanteurs
et le dogmatisme afin de s’adapter aux réalités. Pour lui, il n’y en effet pas
d’autre politique possible que celle qui fait face aux réalités. Voilà pourquoi
d’ailleurs le gaullisme n’est pas une idéologie ! Ce n’est peut-être pas
un hasard si cette conception a été reprise en 1945 pour poser le cadre de la
formation des hauts fonctionnaires français avec la création par un de ses
proches, Michel Debré (1912-1996),
futur premier ministre en 1959, de l’Ecole Nationale d’Administration.





II – LES REFERENCES INTELLECTUELLES ET LES
MODELES LITTERAIRES DE DE GAULLE.





Si De Gaulle trouve sans conteste sa
place dans le milieu intellectuel français et si on peut le situer par rapports
aux « grands ancêtres », la question se pose de ce qu’il en a retenu.
Quelles sont finalement ses références intellectuelles ?





1
– La famille de Gaulle.





De
Gaulle est né à Lille où sa maison natale est devenue un musée. Le nom est
toujours un hasard mais imaginons ce qu’il a pu signifier pendant la guerre.
Les auditeurs qui écoutaient secrètement la BBC – ils prenaient de gros risques
- entendaient en effet de Gaulle avec un
seul « L » et voilà le nouveau héros assimilé à Vercingétorix et à la
résistance perpétuelle à l’envahisseur ! Ils imaginent même que c’est un pseudonyme. Il ne
faut pas oublier que le Général est à l’époque un inconnu, sauf bien sûr dans
le petit monde de l’Etat Major. Or, un homme qui s’appelle de Gaulle et qui
appelle à la résistance au nom de la France, c’est presque trop beau. Mais c’est
son vrai nom.



Une
partie de sa famille vient d’Irlande, peut-être de la petite noblesse mais
attention la particule ne veut rien dire de tel. Il appartient à la bourgeoisie mais plus à une bourgeoisie
du savoir, qu’une bourgeoisie d’argent. Lui-même est d’ailleurs resté toujours très détaché vis-à-vis de l’argent. Son
grand-père était historien, historien de Paris notamment et c’est peut-être de
lui que de Gaulle a hérité de son goût pour le passé. Son père est professeur
dans une école catholique, à une époque difficile, celle de querelle entre
l’école publique et laïque et l’école privée. Mais il n’est pas pratiquant au
contraire de la mère du général. Alors qu’elle serait orléaniste, il serait
plutôt de sensibilité royaliste et même légitimiste. Voilà qui aurait pu faire
pencher de Gaulle (et sur cette seule base, certains y ont cru) vers le
conservatisme le plus étroit voire la réaction.



Or,
au cours du XIXe siècle, le courant légitimiste a joué un rôle
important dans la réflexion sociale, domaine où il a parfois rejoint des
tendances venues de la gauche voire de l’extrême gauche : interdiction du
travail des enfants, limitation du temps de travail, lois sur les assurances
sociales…[10]
Comme plusieurs des leaders de se mouvement, De Gaulle père fait partie de ceux
qui se sont ralliés, par raison, à la République à la fin du XIXe
siècle. De là vient sans doute une certaine proximité entre la famille de
Gaulle et un courant politique qui est en train de naître à cette époque
charnière : la démocratie chrétienne. Dans les années 1930, De Gaulle donne en
tout cas plusieurs fois des conférences dans des cercles proches du Sillon de Marc Sangnier
(1873-1950). Il s’intéresse aussi au courant philosophique qui accompagne ce
mouvement, sans ce confondre avec lui, le personnalisme chrétien d’Emmanuel Mounier (1905-1950), le
fondateur de la revue Esprit.



Malgré
tout, si l’officier a des convictions dans ce domaine, comme la nécessité de
ramener l’individu au centre du débat, il est très difficile de savoir ce qu’il
en ait de ses convictions religieuses. Dans ce domaine, là aussi, il cultive
une certaine pudeur et une stricte séparation entre l’homme public et l’homme
privé. En tout cas, cette influence familiale le protège d’une certaine manière
de l’attirance alors très forte de l’Action
Française
sur les milieux catholiques.C’est le journal de Charles Maurras
(1868-1952) puis un mouvement politique d’extrême droite très réactionnaire qui
combat la République, les droits de l’homme et la démocratie et n’hésite pas à
couvrir d’injures (la liberté de la presse était encore plus large
qu’aujourd’hui) ses ennemis : les juifs, les étrangers, les protestants,
les francs-maçons etc. Sans conteste, de Gaulle est un républicain et un
démocrate, ce qui ne l’empêche pas d’être très critique face au fonctionnement
de la IIIe République.





2
– La culture d’un homme de la génération 1910
.





De
Gaulle appartient à un milieu où la culture est mise au-dessus de tout. Le
professeur Alain Larcan a consacré un travail important à rechercher, dans les
milliers de pages écrits par de Gaulle, les références et les influences afin
de déterminer quel était son paysage mental. Il en a trouvé des milliers tant
chez les anciens ou les modernes que chez les moralistes, les romanciers, les
dramaturges ou les historiens… L’étude de sa bibliothèque montre par exemple un
intérêt méconnu pour la médecine. Futur maire de Troyes, Robert Galley qui était à l’origine ingénieur raconte comment il a
un jour été convoqué par le président de la République qui voulait se faire
briefer sur les problèmes relatifs au nucléaire. De même, alors qu’il vient lui-même
d’un milieu catholique, de Gaulle s’est montré relativement ouvert sur la question
de la légalisation de la contraception. Mais la culture des gens de cette
génération était d’abord une culture classique, très large et très poussée, recueillant
en fait toutes les lectures qui faisaient autrefois l’honnête homme. Il connaît
d’ailleurs des centaines de pages par cœur.











Les
œuvres complètes du Général comportent 28 volumes dont douze de lettres, notes
et carnets publiés après sa mort. C’était donc avant tout un homme de l’écrit.
Selon Claude Mauriac (1914-1996) et
d’autres collaborateurs, il lisait en moyenne trois livres par semaine même dans
les époques de très grande activité, comme si la fréquentation des auteurs
permettait à l’homme politique de faire avancer sa réflexion et de prendre
solitairement ses résolutions. Un de ses derniers collaborateurs, Pierre-Louis Blanc décrit assez bien
son univers : « Ce cabinet
aurait pu être celui d’un savant, d’un philosophe, d’un bénédictin, hommes pour
qui la raison essentielle de l’existence est la réflexion sur la vie, qu’elle
prenne le chemin de la science, de la pensée ou de la foi (…) Son royaume
(était) celui des livres. Il écrivait au milieu d’eux, les consultait sans
cesse, aimait à en parler comme il l’avait fait toute sa vie… Il relisait,
puisant dans les ressources de sa vaste bibliothèque, les ouvrages des
écrivains qu’il considérait comme des pères en littérature.
».



La
bibliothèque du général de Gaulle comportait plus de 2000 ouvrages dont bien
sûr beaucoup de cadeaux reçus lors de ses déplacements. Elle révèle néanmoins
assez bien ses goûts. Notons tout de suite la part extrêmement importante de
l’Histoire : 847 livres soit 40 % du total. De Gaulle s’intéresse aussi
beaucoup à l’art et aux voyages (certains de ces livres lui ont servi à
préparer des déplacements officiels). En revanche, dans sa jeunesse, à une
époque où les rêves des jeunes officiers guidés par Lyautey et Marchand
allaient vers l’outremer, vers l’Afrique ou l’Extrême Orient, les regards et
l’imaginaire de De Gaulle sont étroitement circonscrits à l’Europe voire même
au territoire national. Au début des années 1930, affecté au Levant, en Syrie,
il le dit d’ailleurs très honnêtement : « J’allais vers l’Orient complexe avec des idées simples… ». Cependant,
à l’époque de la France Libre, au début de l’épopée du RPF et bien entendu au
cours de ses deux mandats présidentiels, il a énormément voyagé. En Afrique de
l’Ouest, on trouve encore aujourd’hui des « degol », des petites
figurines très simplifiées formée d’un tronc, d’une tête et de deux bras
formant le « V » de la Victoire. Un ethnologue a même décrit une
tribu qui a fait de lui un esprit protecteur.



En
même temps que pour l’histoire, le Général a un goût prononcé pour la
géographie, une matière importante à l’époque à Saint-Cyr où les élèves
apprenaient, en même temps que la trigonométrie, à lever des cartes. Or, De
Gaulle a rédigé plus tard diverses études sur les frontières notamment sur la
faiblesse des frontières naturelles, ce qui est normal pour un militaire chargé
de les défendre. S’il a acheté une maison en Haute-Marne, à Colombey-les-Deux-Eglises,
ce n’est pas non plus un hasard, c’est parce que le village se trouve à
mi-chemin de Paris et des grandes villes de garnison de l’Est. Même sa
conception de l’Histoire est très liée à celle de la Géographie. Or, à
l’époque, une nouvelle école est en train de naître en France, en Histoire comme
en Géographie, une école qui a tendance à vouloir lier les deux approches. En
cela, de Gaulle était donc très moderne !





3
– Les références politiques de De Gaulle passent par des écrivains.





Mais comment situer politiquement de
Gaulle ? Peut-être en regardant du côté de ses influences. C’est d’abord
la figure de Charles Péguy (1873-1914).
Ce normalien venu de l’extrême gauche, passé au catholicisme et au nationalisme
au début du XXe siècle, s’engage pourtant farouchement en faveur de
Dreyfus et il est tué, comme beaucoup de jeunes écrivains, dès les premiers
combats de 1914. C’est aussi Maurice
Barrès
(1862-1923), un lorrain, le plus grand et le plus connu des
écrivains français de cette époque.



Un
de ses plus célèbres romans, « Les
Déracinés
», raconte l’histoire d’un groupe d’amis, élèves du lycée de
Nancy et leurs parcours dans la France des années 1880-1900, époque où la IIIe
République traverse plusieurs crises graves : l’Affaire Boulanger,
l’affaire de Panama (un scandale politico-financier) puis l’affaire Dreyfus. Le
héros se lance dans le journalisme puis dans la politique en devenant député de
Bar-le-Duc, soit la vie à peine adaptée de Barrès qui est natif de Charmes et a
été lui-même élève du lycée de Nancy. Après un début de carrière parisien dans
le journalisme, il est revenu se faire élire député de la cité de Stanislas. A
cette époque, en 1896, on peut le classer à la fois à l’extrême gauche et à
l’extrême droite, un mélange dont certains historiens ont fait le terreau
originel du fascisme. C’est en tout cas un homme et un écrivain déroutant. Il
soutient la droite nationaliste, il a été clairement antidreyfusard et il a
écrit des textes ouvertement antisémites (alors qu’il est lui-même d’origine
juive). Pendant la guerre, il est accusé par les poilus - non sans raison - de
pousser à la guerre à outrance. Pourtant, dans le même temps, il s’excuse de
ses anciennes prises de position en rédigeant « Les différentes familles spirituelles de la France ». Il y
associe catholiques, protestants et juifs dans un même destin commun. Et là
perce l’idée, finalement très républicaine et gaulliste, que chacun, quelques
soient ses origines, puisse se revendiquer du roman national[11]
français. Maurice Barrès publie enfin, notamment à la fin de sa vie, des romans
très personnels, jugés parfois scandaleux par les biens pensants, où il défend
l’autonomie de l’individu par rapport à la société et ses valeurs (ce qui est
en soit totalement inverse à l’esprit bourgeois et au totalitarisme…)



La
grande idée de Barrès, c’est la terre et
les morts
: l’idée que nous ne sommes pas que nous mais aussi le
produit du sol sur lequel nous vivons et surtout des hommes qui nous ont
précédés ; notion qui revient aujourd’hui à la mode sous la forme très
affaiblie du devoir de mémoire. Avec Péguy et Barrès, de Gaulle est touché par
le nationalisme mais pas par un nationalisme fermé, agressif, exclusif comme
avec Charles Maurras (sinon de Gaulle n’aurait jamais pu être ami avec l’allemandKonrad Adénauer ou le guyanais Félix
Eboué) mais une forme de patriotisme qui est courant dans la génération 1910[12]. D’ailleurs,
et c’est le sens de la toute première phrase des Mémoires, la France est pour
lui d’abord une idée et une construction : pas une communauté biologique
d’habitants qui auraient une origine commune. En 1944, De Gaulle préside en
Afrique la conférence de Brazzaville qui pose les premières bases de la
décolonisation. Il y donne un discours célèbre où il prône l’émancipation de
l’homme africain. C’est un moment important car il permet de trancher assez
facilement la question de savoir si De Gaulle était ou pas raciste. C’est une
question difficile car les mots changent de sens. Le mot « race » par
exemple est courant jusqu’à la seconde guerre mondiale et il n’avait pas toujours
le sens que nous lui donnons. Et le fait de l’employer ne fait pas de son
auteur un raciste. D’un autre côté, De Gaulle vient d’un milieu et d’une époque
fertiles en préjugés. Autant donc nous contenter des faits. Ses rapports avec Félix Eboué (1884-1944), premier gouverneur
noir d’une colonie française qui s’est rallié à la France Libre, ou avec René
Cassin semblent plaider pour le contraire.



En
1910, deux jeunes auteurs, un journaliste et un écrivain, ont lancé une enquêté
appelée Agathon qui se donnait pour but de comprendre « les jeunes gens
d’aujourd’hui ». Leur idole, c’est Ernest
Psichari
(1883-1914), un jeune normalien, petit-fils du philosophe Renan et
disciple de Péguy, qui, malgré la belle carrière qu’on lui promet, revient à la
foi et plaque tout pour s’engager dans l’armée et partir aux colonies. Il est d’ailleurs
tué lui aussi au feu en 1914. Entre temps, il a pu donner deux ou trois livres
épiques qui ont enflammé sa génération. Dans un trajet personnel exactement
inverse mais porté par la même quête d’absolu, on pourrait aussi citer le père de Foucauld (1858-1916), un
saint-cyrien qui abandonne les armes pour la vie religieuse et un ermitage dans
les montagnes d’Afrique du Nord. Après un demi-siècle très positiviste, matérialiste
et scientiste, cette époque connaît une très nette inflexion vers le mysticisme
(avec une vague de conversions, par exemple celles de Paul Claudel ou de Jacques Maritain) voire vers le
surnaturel, d’où le succès contemporain du spiritisme. Il est vrai que le
philosophe Nietzsche (1844-1900) a
entretemps remis en cause pas mal de certitudes et que Freud (1856-1939) a ouvert la voie à l’inconscient. On se met même
à douter de l’idée de progrès…



La
jeunesse de De Gaulle pose donc déjà les questions qui vont revenir
régulièrement par la suite dans la bouche des commentateurs et des biographes.
Est-ce un homme de droite ou un homme de gauche ? Est-ce un
démocrate ? Est-il croyant ou pas ? De toute façon, le parcours
politique ultérieur brouille un peu l’image de l’écrivain. Mais sans politique,
pas d’écrivain non plus. Le niveau atteint par de Gaulle, la légende et le
mythe rendent surtout difficile l’arbitrage entre ceux qui le déifient (et
pourtant de Gaulle a tout fait dans son testament pour empêcher la mise en
place d’un quelconque culte de la personnalité posthume) et ceux qui le vouent
aux gémonies.





4
– Les amitiés littéraires.





En
tout cas, il a séduit des écrivains de bords politiques très différents :
Malraux par exemple qui vient de la gauche antifasciste des années 1930… et
d’autres issus de la droite, même de la droite nationale comme Philippe Barrès[13],
le fils de Maurice. Il a en revanche connu une relation conflictuelle avec
certains des plus grands esprits des années 1950 et 1960. Jean-Paul Sartre (1905-1980), par exemple, multiplie les pétitions
contre lui ou sa politique. C’est moins le cas avec Marcel Camus (1913-1960) notamment après que de Gaulle ait engagé
la décolonisation.



L’expression
« amitiés littéraires » est cependant un peu excessive. On n’est en
effet pas ami avec de Gaulle notamment parce que c’est un homme qui, pour des
raisons de caractère et d’éducation, ne se livre pas. Il vouvoie sa femme et
ses enfants, cela n’a rien d’anormal à l’époque, et il tutoie seulement deux ou
trois camarades de promotion dont le maréchal Juin. Ses joies et ses peines ne
sont jamais exprimées, sauf bien sûr lorsqu’elles concernent la France. En
1948, les contemporains n’ont ainsi jamais rien su de la douleur ressentie par
le Général à sa fille Anne. Elle était trisomique. Or, à l’époque, on ne
montrait pas, on ne parlait pas d’un enfant handicapé. Pourtant, colonel commandant
un régiment de chars à Metz à la fin des années 1930, de Gaulle rentrait chez
lui tous les midis, il se mettait en civil et il emmenait sa fille au parc.
Cela paraît normal aujourd’hui mais c’était très rare à une époque d’ailleurs
où les pères s’impliquaient très peu dans l’éducation des enfants. Qu’on ne
s’attende donc pas à découvrir des aspects de vie privée dans les Mémoires. Ce n’est pas une biographie,
ni de l’autofiction un genre qui fait flores chez les écrivains d’aujourd’hui.



Le
terme d’amitié littéraire est trop fort sauf peut-être avec Malraux. Mais c’est
quelque chose qui s’en rapproche, une forme de respect réciproque forgée dans la
Résistance. Joseph Kessel (1898-1979),
écrivain, journaliste et grand baroudeur, et son neveu Maurice Druon (1978-2009) ont rejoint la France Libre et ils ont
écrit le Chant des Partisans, la
Marseillaise de la résistance.



Romain Gary (1914-1980), le
seul écrivain à avoir obtenu deux fois le prix Goncourt (la deuxième sous un
pseudonyme) était pilote dans les Forces Aériennes Françaises Libres avant de mener
une double carrière dans les lettres (en français et en anglais) et dans la
diplomatie. Il faut aussi citer Georges Bernanos
(1888-1948). Ce grand écrivain catholique, qui a vécu à Bar-le-Duc où il a
d’ailleurs écrit son roman le plus célèbre, « Sous le soleil de Satan », a quitté la France durant
l’Occupation par haine de Vichy. Il a ensuite joué un rôle notable pour faire
connaître de Gaulle en Amérique Latine. Même rapport avec François Mauriac (1885-1970), un romancier issu du même milieu que
De Gaulle, plutôt conservateur et très catholique, qui n’hésite pourtant pas,
dans les années 1960, à s’engager au profit de multiples causes comme la
décolonisation ou la lutte contre la torture. Son fils, lui-même écrivain est
le secrétaire de De Gaulle. Le respect demeure donc même lorsque les aléas de
la politique ou les choix personnels séparent les individus. C’est le cas avec
Mauriac mais aussi avec Raymond Aron
(1905-1983). De la même promotion de l’Ecole Normale Supérieure et de
l’agrégation de philosophie que Sartre, il a occupé lui aussi une place énorme
dans le monde des idées des années 1950-1970. Libéral alors que Sartre se
voulait à l’extrême à gauche[14],
professeur de sociologie, il a par exemple joué un grand rôle dans la réflexion
sur le totalitarisme ou sur le concept de guerre froide. C’était aussi un grand
spécialiste de Clausewitz, le pape de la stratégie. Comme de Gaulle, qu’il
avait connu à Londres pendant la guerre, il avait perdu une fille, ce qui avait
contribué à rapprocher les deux hommes au-delà des divergences politiques.



Au
moment de commencer à écrire ce qui va être sa grande œuvre, de Gaulle doit se
situer par rapport à tous ces/ses auteurs. Il y a de l’ouvrage. Il le sait et
ne veut pas se contenter d’un récit informatif. Son ambition et dès le départ
de favoriser tout autant la forme que le fond. Les premières pages des Mémoires
prouvent qu’il avait déjà beaucoup médité avant de prendre plume. Ecrire est même
pour lui une nécessité !





III – LES
PREMIERS ECRITS (1900-1940).





Chez de Gaulle, il existe en effet
une véritable vocation de l’écriture. Un écrivain est quelqu’un qui ne peut pas
s’empêcher d’écrire et pour qui cela devient un acte quotidien. Dans le cas
présent, ce besoin est apparu très tôt.





1
– La vocation de l’écriture.





Dès
l’enfance, le colonel Driant a constitué une sorte de modèle. Avec Paul d’Ivoi
et quelques autres, il a pris la succession de Jules Verne (mort en 1904) et a dominé la littérature jeunesse (et pas
qu’elle car son lectorat était beaucoup plus vaste) du début du XXe
siècle en France. De Gaulle adolescent a sans doute lu la « L’Invasion Jaune », un gros et lourd roman qui anticipe une
guerre mondiale où la Chine et le Japon envahissent l’Europe. Bien avant 1914
et 1940, quelques années seulement après la révolte des Boxers à Pékin et peu
de temps avant la défaite russe contre le Japon en 1905, Driant parle déjà de
la guerre psychologique, de la guerre électronique, des gaz de combat et des
massacres de masses… Or, dans une rédaction, l’élève Charles de Gaulle invente
une nouvelle fin au livre. Dans l’œuvre originale, le Kaiser Guillaume II meurt
en chargeant à la tête de sa cavalerie puis la France est envahie comme en
1870. Face à des hommes politiques prêts à toutes les compromissions avec
l’ennemi, un petit groupe de jeunes officiers et de jeunes parlementaires
décide de continuer le combat outremer, dans une « petite France »
réduite à l’Afrique du Nord. Dans son devoir, le jeune Charles s’imagine
bloquant l’invasion à la tête des armées françaises. En mai 1940, c’est ce
qu’il a effectivement tenté de faire à la tête d’une division blindée. Lors de
la bataille de Montcornet, il réussit notamment à stopper pendant quelques
heures l’avancée allemande. Peu de temps après, comme dans le roman, il défend
au gouvernement (où il a été nommé sous-secrétaire d’Etat à la guerre par Paul
Reynaud) l’idée de poursuivre le combat dans les colonies. Devant le défaitisme
et l’esprit d’abandon encouragé par Pétain, de Gaulle part finalement à Londres
et lance son appel à la résistance. Ce travail scolaire est prophétique. Peut-être
de Gaulle s’en souvint-il, dans la nuit du 17 au 18 juin 1940, lorsqu’il tendit,
page après page, le texte qu’il était en train de rédiger pour la BBC à son
officier d’ordonnance Geoffroy de Courcel.





2
– Du cabinet de Pétain au Secrétariat Général de la Défense Nationale.





De
Gaulle n’a pas terminé la guerre. En 1916, il est en effet porté disparu devant
Douaumont. D’abord on le croit mort. Pétain, commandant en chef du front de
Verdun signe même une citation à titre posthume. En fait, il a été blessé et
fait prisonnier. Il cherche plusieurs fois à s’évader (un peu comme dans le
film « La Grande Evasion ») et
il est à chaque fois repris. La dernière fois, il est emmené dans un camp
spécial, en forteresse, un lieu très sévère, d’où on ne s’évade pas et qui
rappelle un autre film : « La
grande illusion
» de Jean Renoir. Il ne reste pas inactif. Il lit
beaucoup et échange ses analyses avec les autres prisonniers qui sont tous des
esprits forts : le général Catroux qui ralliera une partie de l’Empire
colonial à la France Libre en 1940 ou un lieutenant de la garde impériale Russe,Toukhatchevski (1893-1937), futur chef de l’armée rouge que Staline fera
exécuter en 1937. Un peu comme l’historien Fernand
Braudel
(1902-1984), natif de la Meuse, dont on raconte qu’il a rédigé sa
thèse de doctorat de mémoire, en camp de prisonniers, De Gaulle ne pas peut
consulter d’archives. Pour s’occuper, il est donc obligé de s’intéresser au
présent.



Il
commence donc une réflexion qui va aboutir, quelques années plus tard, en 1924,
à la publication de son premier livre : « La discorde chez l’ennemi ». Cet essai analyse, presque encore
à chaud, les raisons de la défaite allemande de 1918. A une époque où faire de
l’Histoire consiste surtout à étudier des époques très anciennes et à enchaîner
mécaniquement les dates et les évènements, il apporte de nouveaux facteurs
explicatifs et notamment les facteurs psychologiques. D’une certaine manière,
cet ouvrage anticipe un courant très important aujourd’hui, celui de l’Histoire
immédiate.



Cependant,
le fait de ne pas avoir pu continuer à se battre est à l’origine chez lui d’une
frustration terrible. Il n’est plus au feu alors que le sort de la France se
joue, notamment lorsque Ludendorff lancent ses coups de boutoirs du printemps
1918 pour percer le front occidental. De là provient son refus absolu, viscéral
de ne pas abandonner en juin 1940. A son retour de Stalag (le camp de
prisonnier allemand), il repart donc immédiatement en mission en acceptant un
poste de conseiller militaire en Pologne, tout jeune état qui fait alors face à
une invasion soviétique. Le voilà au cœur de la nouvelle géopolitique mondiale.
De Gaulle comprend à cette occasion que la guerre et la paix ne se résument
plus à des conflits réguliers entre états européens (lesquels ont entamé sans
encore s’en rendre compte leur déclassement) mais que de nouveaux acteurs et
des acteurs majeurs sont entrés dans le jeu : l’URSS (lui dit la Russie
car son sens de l’Histoire lui dicte que l’épisode soviétique n’est qu’une
étape dans la longue histoire de cette nation) et les Etats-Unis.



Pétain
n’a pas oublié son ancien lieutenant de 1912. Il le suit de loin. Or, De Gaulle
ne sort pas très bien classé de l’Ecole de Guerre où son caractère et son indépendance
d'esprit n’ont pas beaucoup plu. A l’époque, ce qu’on demande à un officier qui
veut monter en grade, c’est de se couler dans le moule et de ne pas trop
réfléchir. Un commandant d’unité doit appliquer tel quel les plans conçus par
des généraux plus intelligents que lui, même lorsque le terrain prouve qu’ils
ont tort. Pétain intervient cependant lorsque de Gaulle est affecté dans
l’intendance afin de s’occuper des chambres froides des unités stationnées en
Allemagne. Il fait en sorte qu’il rejoigne assez vite une unité opérationnelle
et il fait donner des conférences à l’école de guerre.



A
cette époque, De Gaulle publie un livre important, essai ou livre d’histoire,
tous les trois ou quatre ans. Il est soutenu par les éditions Berger-Levraut de
Nancy (mais originaires d’Alsace-Moselle) et dont une des spécialités est
justement les questions militaires. Au-delà du grade de capitaine, un officier
breveté alterne les affectations en unité, en état-major et éventuellement
outremer. Après un séjour en Syrie puis le commandement d’un escadron de
chasseurs à pied à Trèves ce qui le confronte une nouvelle fois l’Allemagne du
traité de Versailles, De Gaulle est affecté comme commandant puis
lieutenant-colonel au secrétariat général de la défense nationale. C’est une
reconnaissance de ses qualités intellectuelles. Là, il conduit des études, fait
des rapports, se trouve au plus près de tout ce qui compte dans l’armée et dans
la politique. Il dispose également de temps pour écrire même le poste ressemble
aussi à une forme de placard.



Dans
le même temps, il entre au service du maréchal Pétain qui a besoin d’auteurs
pour rédiger ses discours et publier les ouvrages attendus d’un membre éminent
de l’Académie Française. Lorsque Pétain est reçu à l’Académie, il doit
discourir de son prédécesseur le maréchal Foch. De Gaulle écrit le texte pour
Pétain qui préfère se tourner vers un autre nègre, l’hommage étant trop appuyé
en direction de Foch que De Gaulle admire et que Pétain détestait. Premier
accroc. C’est que de Gaulle n’est pas souple lorsqu’il s’agit de ses idées et
de sa plume. Ils finissent d’ailleurs par rompre lorsque Pétain veut publier
sous son propre nom, un livre sur l’histoire du soldat français qu’il avait
suggéré à De Gaulle d’écrire. Mais ce n’est pas qu’une question d’égo.
L’évolution de la IIIe République et les questions purement
stratégiques contribuent également à séparer les deux hommes.





3
– Le théoricien de la Blitzkrieg.





Dans les années 1930, Pétain qui n’a
jamais été réellement républicain se rapproche de l’extrême droite et notamment
d’un groupuscule fasciste, la cagoule, qui prône le terrorisme et le coup
d’état militaire. Il accepte de devenir ambassadeur en Espagne, occasion pour
lui de se rapprocher du dictateur Franco. Au niveau intérieur, Pétain qui est
le dernier survivant des maréchaux de la Première Guerre Mondiale et qui jouit
d’une grande autorité au sein du conseil supérieur de la guerre, couvre de son
aura la fossilisation de la doctrine stratégique française. Pour simplifier, la
France prépare la Première Guerre Mondiale, pas la Seconde : une guerre de
tranchées, de fantassins et de pigeons voyageurs… Une guerre de position
appuyée sur les fortifications de la
Ligne Maginot.



De
Gaulle trouve utile la ligne Maginot, à condition que cette ligne soit
achevée : elle couvre l’Est du pays mais pas le Nord d’où est venue
l’attaque de 1914 (Plan Schlieffen) afin de ne pas désobliger nos alliés
belges. Surtout, il y a un gros trou dans les Ardennes que l’Etat Major juge
infranchissables. Mais surtout, il conçoit les fortifications comme une
couverture pendant la mobilisation des troupes et comme un appui avant une
offensive. Ce qui manque, selon lui, à ce nouveau Limes, c’est un corps de
bataille blindé. Attention, après la défaite de 1940, les généraux et Pétain le
premier, lors de son discours radio du 17 juin, expliqueront aux Français que
les Allemands ont gagné parce qu’ils étaient les plus forts et les mieux
armées. C’est faux. En 1940 les Français ont par exemple autant de chars que
les Allemands mais ils les utilisent par petits paquets alors que la Wehrmacht
est organisée en divisions blindées qui attaquent en masse en se coordonnant
avec l’aviation. Les blindés français n’ont même pas la radio. Or, depuis quinze
ans, de Gaulle est devenu un des spécialistes de cette arme nouvelle. Ses
collègues se moquent d’ailleurs de sa lubie. Chef de corps à Metz, il est même
surnommé le « colonel motor ».



En
1934, après de nombreuses notes et rapports, il publie « Vers l’armée de métier » afin de mettre la question sur le devant de la
scène. Non seulement, il demande la constitution de divisions cuirassées et la
réforme de la stratégie française, mais il avance que cette modernisation nécessite
la professionnalisation du corps de bataille (le remplacement des appelés par
des soldats de métier bien formé), idée qui a l’époque heurte tout autant la
gauche que la droite. De Gaulle profite cependant de sa position pour alimenter
des hommes politiques qu’il juge ouvert sur les nouvelles questions, par
exemple Paul Reynaud, un parlementaire du centre-droit, ou même Léon Blum, le
chef de la SFIO, le parti socialiste de l’époque. Une des idées de De Gaulle
sera tout de même reprise par le Front Populaire, une idée qui choque l’Etat
Major et que le futur auteur des Mémoires voit comme une réaction possible aux
Etats totalitaires. Il s’agit d’élargir la réflexion sur la défense au-delà des
milieux militaires en y associant les civils et les citoyens[15]. C’est
l’origine d’un Institut qui existe toujours à Paris et qui s’appelle l’Institut
des Hautes Etudes de la Défense Nationale (IHEDN). Au-delà, les efforts de De
Gaulle restent cependant vains… sauf peut-être chez l’ennemi. En 1945, lorsque
la 2e Division Blindée du général Leclerc est arrivée à la maison
d’Hitler, un officier français a trouvé dans la bibliothèque du Führer une
édition allemande de « Vers l’armée
de métier
» annotée dans les années 1930 par le général Guderian. C’est
ce même général, théoricien de la Blitzkrieg (la guerre éclair) avait dirigé
l’offensive dans les Ardennes en 1940…





4
– L’Appel du 18 Juin : un texte énorme.





Il
faut lire et relire l’appel du 18 juin, comme un texte histoire mais aussi
comme un texte littéraire. Non pas la version abrégée qui a été imprimée pour
être placardé sur les murs de Londres puis diffusé clandestinement en France
mais la version complète. L’appel original n’a pas été enregistré et celui que l’on
entend parfois est un tout petit peu différent et il date du 22 juin. Il a été
entendu par très peu de gens (bien moins que ceux qui jurent que c’est le cas)
mais il s’est très vite répandu par le bouche à oreille. Les phrases les plus
essentielles ont été mémorisées et répétées bien que le document ne commence à
circuler sous le manteau. Cela a été possible parce que le texte est d’une
qualité exceptionnelle.



En
une page, tout est dit ! De Gaulle avait compris, comme Churchill ou
Roosevelt, la force de la radio, à condition bien sûr de préparer des textes
adaptés à ce média. Des hommes politiques de l’époque se contentaient alors de
lire leurs longs discours avec un ton d’avocat ou d’acteur de la comédie
française. De Gaulle sait surtout que la radio permet de créer une tension
particulière avec l’auditeur. En mai 1968, après les évènements que l’on sait,
il saura créer le vide en disparaissant durant quelques heures (en Allemagne à
Baden Baden) avant de réapparaître et de s’exprimer à la radio et non à la
télévision afin justement de profiter de cette tension.



En
tout cas, pour beaucoup de Français, de Gaulle a d’abord été une voix. L’appel
a donné un espoir alors que Pétain demandait aux Français de se résigner. Mais
les gens ne savent pas à quoi il
ressemble, sauf à Bar-le-Duc… Le photographe Althuser (grand-père de celui qui
occupe toujours le même magasin boulevard de la Rochelle), qui devint peu après
un des chefs de la Résistance dans le sud-meusien, détenait un cliché de De
Gaulle colonel à Metz avant guerre. Il l’a reproduit et diffusé afin de
permettre aux barrisiens de mettre un visage sur une voix.



L’appel
du 18 juin et un petit bijou. Il y a quelques années, Maurice Druon, ancien
secrétaire perpétuel de l’Académie Française, en a fait une présentation au
palais des congrès de Nancy. Plutôt qu’une analyse historique ou politique, il
avait préféré l’aborder sous l’angle littéraire : la langue, le style, la
grammaire, la syntaxe, le vocabulaire. Il surtout montré combien ce texte avait
été très travaillé. On sait aujourd’hui que De Gaulle n’est pas parti de rien
dans la nuit du 17 au 18 juin 1940 et qu’il avait déjà écrit plusieurs
brouillons dans les semaines précédentes. Chaque mot est choisi, chaque formule
est pesée. Il faut en effet expliquer en quelques phrases des choses
compliquées de la géostratégie mondiale (les Etats-Unis et l’URSS entreront un
jour dans la guerre et cela va tout changer par exemple) et surtout donner des
perspectives alors que les Français n’ont qu’une vision très étroite du
conflit. Dans le même temps, Pétain en profite d’ailleurs pour essayer de convaincre
les Français que la guerre était purement franco-allemande et qu’elle est
finie.



Ce
texte est déjà beaucoup plus qu’un appel à la résistance. C’est un texte
politique. Comme dans les Mémoires, De Gaulle pose en effet la question de ce
que c’est que la France. Pas seulement un territoire ou un peuple, mais aussi
une idée. Or, en l’occurrence, Vichy (la France de Vichy c’est-à-dire l’Etat
Français de Pétain) décidant de déposer les armes (et de collaborer avec les
nazis, et d’adopter une législation antisémite) a perdu selon lui toute
légitimité. Pour de Gaulle et René Cassin qui va poser les bases juridiques de
la France Libre, la France se trouve là où des hommes (pas tous des Français
d’ailleurs) se battent au nom des valeurs qui constituent la France… Voilà
pourquoi, il ne se contente pas de monter une organisation militaire, les FFL –
Forces Françaises Libres pour combattre aux côtés des alliées, mais tout de
suite une organisation politique, un gouvernement français libre. Donc, ses
mémoires ne sont pas, contrairement au titre, que des Mémoires de Guerre.





IV – LA
REDACTION DES MEMOIRES DE GUERRE.





Retiré du gouvernement en janvier
1946, le Général, qui a suspendu son mouvement le RPF au milieu des années
1950, entreprend la rédaction de ses Mémoires
de guerre
. Ce ne sont pas les seules publiées par de Gaulle. En 1969, après
sa démission de la Présidence de la République, il entreprit aussi le récit de
ses années à la tête de l’Etat mais il n’aura le temps de terminer que le
premier volume.





1
– Comment de Gaulle écrit ?





De Gaulle écrit seul, tous les
matins, à son
bureau de la Boisserie à
Colombey. Il a acquis cette maison avant guerre
puis racheté les terrains en face de sa fenêtre afin de gagner de la
perspective et de ne pas être gêné. Le bureau en lui-même est un lieu sacré et
madame de Gaulle sait faire régner le silence dans la maison quand il
travaille. Il s’occupe d’abord de sa correspondance, beaucoup de lettres, des
dizaines. Il rédige aussi lui-même ses discours et les apprend par cœur, autant
pour des raisons de communication qu’à cause de ses problèmes de vue. Enfin, il
écrit ses mémoires mais pas dans le même état d’esprit en 1946 et en 1969.



En
1969-1970, quand il s’attaque au premier tome des Mémoires d’Espoir qui doivent raconter son retour au pouvoir et les
débuts de la Ve République, il sent son temps compté. Pour lui, il
l’affirme à ses proches, « La
vieillesse est un naufrage
». Il va plus à l’essentiel et cherche
moins à confronter ses souvenirs aux archives. C’est l’heure des bilans. Pour
la première série, en revanche, il s’est appuyé sur un petit cabinet dirigé par
Olivier Guichard rue de Solferino (là où se trouve aujourd’hui la Fondation Charles de Gaulle). Il ne lui
demande pas d’écrire, comme le faisait Churchill, mais de lui retrouver tel ou
tel document (d’où les annexes des trois tomes). Il dispose en effet de temps
pour la réflexion et la recherche de la bonne formule.





2 – La traversée du désert : un
temps de retour sur soi !





Donc
de Gaulle veut raconter son parcours durant la guerre. Mais ce qu’il est devenu,
au moment où il entreprend d’écrire, change complètement la perspective. De
plus, les péripéties de la France Libre sont narrées par quelqu’un qui se lance
au même moment dans une nouvelle aventure, celle du RPF entre 1947 et 1953.
Ensuite, il paraît couper tout lien avec le monde politique (même s’il continue
de suivre les choses de prêt). Personne ne croit en effet à son retour aux
affaires, surtout pas madame de Gaulle ! C’est ce que les historiens
appellent « La traversée du désert ». En plus de la tentation,
toujours présentes chez les grands hommes (et les petits) de l’autojustification,
les Mémoires de Guerre peuvent lui
permettre d’occuper encore le devant de la scène et, par la présentation de son
action passée, de le faire apparaître comme un recours possible en cas de crise
grave.



D’abord,
on ne peut pas comprendre les Mémoires si on ne se rend pas compte du
traumatisme constitué par la défaite du printemps 1940 (même si certains comme
Maurras ont très vite été très heureux de cette défaite surprise qui
leur permettait de prendre le pouvoir). Au niveau personnel, c’est aussi le
problème moral d’un homme, d’un serviteur de l’Etat et d’un militaire qui se
voit obligé de désobéir (et qui est condamné à mort par contumace pour cela). Or,
De Gaulle intellectualise. Il explique son choix par une
réflexion, par un examen rationnel des faits. Etait-ce si simple ? Comme
pour beaucoup de résistants, sans aller jusqu’à évoquer l’inconscient, cette
décision puise au tréfonds de la personne et elle garde une part de mystère.





3
– Etre du côté des vainqueurs.





Durant
la guerre, de Gaulle affronte deux problèmes. D’abord faire reconnaître la France
Combattante par les alliées et lui donner une vraie valeur militaire (ce qui
est acquis après la bataille de Bir Hakeim en Libye en 1942 et a fortiori après
le débarquement en Italie). Cela doit faire oublier l’armistice honteux de 1940
et permettre à la France d’être du côté des vainqueurs : le 8 mai 1945, le
général de Lattre de Tassigny signe effectivement l’acte de capitulation de
l’Allemagne et la France obtient un siège permanent au conseil de sécurité de
l’ONU. En même, il s’agit aussi pour lui et son gouvernement d’obtenir une
vraie légitimité tant sur le plan international (difficile côté américain) qu’à
l’intérieur de la France (d’où la mission donnée à Jean Moulin, l’unification
de la résistance et la création du CNR). Cela va permettre au gouvernement
provisoire de s’installer en France à la Libération et d’éviter au pays une
occupation par l’administration américaine (AMGOT). Il combat en permanence
l’idée selon laquelle il aspire à une carrière de dictateur militaire (d’où la
création d’une assemblée consultative à Alger et l’accueil fait à certaines
personnalités de gauche) et annonce clairement qu’il souhaite rétablir, tant
sur le fond que sur la forme, la République. Mais quelle république ?
C’est la question qui occupe l’essentiel du tome III.





4 – Refonder la République.





En janvier 1946, De Gaulle démissionne
de la présidence du gouvernement provisoire. Officiellement, c’est parce que
les partis politiques se déchirent et ne lui permettent plus de gouverner
sereinement. Plus fondamentalement, c’est le projet de république qui pose
problème. La majorité des parlementaires penche en effet pour une constitution
proche de celle de la IIIe République, régime où le président n’avait
aucun pouvoir et où l’exécutif (le gouvernement) était très faible face au
pouvoir législatif.



De Gaulle quitte donc le pouvoir
mais pas la vie politique. D’abord, il reste très populaire. Il voyage en province
et fait des discours. A Bayeux, en Normandie, il présente sa vision de la
république et trace les grandes lignes de ce qui sera, après 1958, la
constitution de la Ve. A Bar-le-Duc, en 1946, sur une estrade au
bout du boulevard de la Rochelle, il parle de la guerre froide qui s’annonce.
L’année suivante, en 1947, il annonce enfin à Strasbourg la fondation d’un
grand mouvement politique : le Rassemblement du Peuple Français – RPF. Il
ne veut pas, mais c’est en grande partie une utopie, que ce soit un parti situé
à un endroit précis de l’échiquier politique ou qui défendrait une idéologie
mais un rassemblement chargé de tracer une troisième voie entre la gauche et la
droite, grâce notamment à la participation des travailleurs au fonctionnement
et aux bénéfices des entreprises. Le lancement du RPF est un très grand succès
militant. Le mouvement gagne la plupart des grandes villes aux élections
municipales de 1947 dont Verdun avec Hippolyte Thévenon et Bar-le-Duc avec Jean
Jeukens (celui de la médiathèque) qui avaient été deux des principaux chefs de
la résistance en Meuse.



Mais
rapidement, les partis politiques interdisent à leurs membres d’adhérer au RPF.
Les militants et les élus doivent choisir, ce qui conduit le Rassemblement à
devenir un mouvement comme les autres. Tous les gaullistes ne sont d’ailleurs
pas au RPF. Et puis une nouvelle loi électorale, dite des apparentements,
truque d’une certaine manière les élections législatives prévues en 1951 et que
l’on annonçait gagnée d’avance par de Gaulle qui serait alors revenu au pouvoir
par la voie parlementaire. Effectivement, si les gaullistes gagnent plus de 100
sièges, la dynamique est cassée d’autant que le Général refuse de jouer le jeu
des alliances propre au régime d’assemblée.



A
partir de 1953, le RPF est moribond et le général, lui-même, décide de le
mettre en sommeil en 1955. Commence alors la phase la plus difficile de la
traversée du désert. Personne n’imagine que de Gaulle puisse jamais revenir au
pouvoir (ce qui va pourtant arriver en 1958 suite à la guerre d’Algérie).
Entretemps, Roosevelt est mort en
1944 et Staline en 1953. Churchill est revenu au pouvoir, lors de l’avènement
d’Elisabeth II, mais ce n’est plus le même homme. Il a vieilli. Reste Mao Zedong (qui exerce sur Malraux la
même fascination que de Gaulle).





Conclusion : Les premières
lignes du premier tome et les dernières du troisième constituent l’alpha et
l’oméga des Mémoires. Comme tout pousse le Général au retour sur soi et qu’il
n’est pas dans sa nature de se livrer, c’est la France qui va servir de sujet.
Et c’est lorsqu’il parle de la patrie comme d’une amoureuse que peut-être on
peut guetter de Gaulle au détour d’une phrase.





« Toute ma vie, je me suis fait une
certaine idée de la France. Le sentiment me l’inspire aussi bien que la raison.
Ce qu’il y a, en moi, d’affectif imagine naturellement la France, telle la
princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une
destinée exceptionnelle. J’ai, d’instinct, l’impression que la Providence l’a
créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S’il advient que la
médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j’en éprouve la sensation
d’une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la
patrie. Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la France
n’est réellement elle-même qu’au premier rang
».



L’Appel, p.1.





« Vieille France, accablée d’épreuves,
meurtries de guerres et de révolutions, allant et venant sans relâche de la
grandeur au déclin, mais redressée, de siècle en siècle, par le génie du
renouveau !



Vieil homme,
recru d’épreuves, détaché des entreprises, sentant venir le froid de l’hiver
éternel, mais jamais las de guetter dans l’ombre la lueur de l’espérance !
»



Le
Salut
,
p.290.





De
ces deux passages, on peut retenir deux choses. Tout d’abord, la confirmation
que de Gaulle est réellement un écrivain. Ces phrases ont dû être écrites et
réécrites de nombreuses fois. Elle fond penser au début des grands romans du
XIXe siècle, Flaubert par exemple, tellement elles coulent naturellement.
Voire même, elles possèdent une certaine musicalité. Sur le fond, elles
confirment que les Mémoires, plus qu’un récit historique de la France Libre,
sont avant tout une longue et profonde méditation sur ce que c’est que la
France : le produit d’une Histoire et une communauté de destin. Contre le
défaitisme ou la théorie du déclin, c’est un appel au volontarisme de l’homme
qui peut par son action changer le destin. Cela reste d’actualité.







Frédéric
Schwindt



Centre Charles
de Gaulle de Nancy



Vice Président
de l’AR13 – IHEDN



FSchwindt@ac-nancy-metz.fr










[1] Conférence aux
élèves de terminale L du lycée Poincaré (Bar-le-Duc) le 16 janvier 2012.




[2] Même si Thucydide ne se raconte
pas lui-même.




[3]Voir aussi de
cet auteur La cité de Dieu qui donne
lieu à une profonde réflexion sur le sens de l’Histoire.




[4] Il faudrait au passage essayer
de distinguer un mémorialiste et un chroniqueur, ce que les dictionnaires ne
font pas toujours.




[5] A la même époque, le futur
général Weygand, alors jeune officier, faisait signer une pétition contre
Dreyfus…




[6] Voir le livre consacré à son
père par le grand romancier Dominique
Fernandez, « Ramon », Le
Livre de Poche, 2010.




[7] Son idée maîtresse consiste à
démontrer que le combat repose avant tout sur l’être humain et notamment sur sa
psychologie.
De
Gaulle a en revanche lu assez tard le grand théoricien prussien Clausewitz
(1780-1831).




[8] À partir de 1889, il se mit à
publier des articles de théorie militaire qui allaient à l'encontre des thèses
officielles. Il y soutenait notamment que les guerres de l'avenir seraient non
pas des guerres de mouvement fondées sur des tactiques d'offensive à outrance,
mais des « guerres d'immobilité » où l'on verrait les armées
s'enterrer. Ces conceptions prophétiques mais hérétiques valurent au capitaine
Mayer d'attendre dix-sept ans avant de passer dans le grade supérieur.




[9] D’où aussi la décision de quitter
non pas l’OTAN mais son commandement intégré (dans lequel la France est rentrée
depuis peu) afin de laisser à la France sa libre décision quant à l’engagement
de ses troupes.




[10] Voir par exemple la carrière
politique du comte Albert de Mun (1841-1914), député monarchiste, fondateur avec La Tour du Pin de la première
association ouvrière catholique en 1871 et qui s’est rallié finalement à la
République après l’appel du pape Léon XIII.




[11] On appelle « roman
national », l’Histoire du pays telle qu’elle était enseignée sous la IIIe

République avec son contingent de grandes dates (1515, 1789…), de grands
personnages (Vercingétorix, Napoléon…) et de mythes dans lesquels l’ensemble de
la Nation pouvait se retrouver même fictivement.




[12] Jaurès lui-même affirmait qu’un
peu de patriotisme menait au nationalisme et que beaucoup conduisait à
l’internationalisme…




[13] Journaliste, Philippe Barrès fut
néanmoins de ceux qui ont violement dénoncé le traité de Munich en 1938 et un
des rares à voir venir la défaite de 1940.




[14] Un slogan de mai 68 disait qu’il
valait mieux avoir tord avec Sartre qu’avoir raison avec Aron.




[15] Il n’est pas le
seul. D’autres, comme l’amiral Castex
, fondateur du Collège des hautes
études de défense,
font à l’époque
des propositions identiques.