mercredi 13 novembre 2013

158 - Les personnels et les anciens élèves du lycée de Bar-le-Duc morts pour la France - 1914-1918

 
 
 
 


L’entrée de la cour dite « impériale » du lycée de Bar-le-Duc comporte deux monuments : celui offert par les anciens élèves au plus célèbre d’entre eux - le président Raymond Poincaré - et la dalle de marbre qui rappelle le souvenir des personnels et des anciens élèves morts pour la France au cours de la Première Guerre Mondiale.




Le lycée de Bar-le-Duc au XIXe siècle et aujourd’hui


Des listes ont été imprimées dans les bulletins de l’association des anciens élèves mais elles ne correspondent pas tout à fait avec celle de la plaque. Des noms avaient été oubliés, d’autres ont été rajoutés. Ainsi le lieutenant-colonel Georges Dubois, tué en Roumanie en 1917, n’a semble-t-il pas été élève à Bar-le-Duc mais au collège de Wassy puis au lycée de Nancy où il a préparé Saint-Cyr. En revanche, il a été affecté pour de son premier poste comme lieutenant au 94e RI de Bar-le-Duc ; ce qui explique peut-être pourquoi ceux qui l’ont connu ont tenu à faire ajouter son nom…




Raymond Poincaré

(Président de la République – 1913-1920)


Il ne faut en effet pas croire que les services de l’Etat ont dressé après la guerre des listes particulières pour tel ou tel lieu. Même les monuments aux morts sont sujets à caution. Il existe de nombreux cas où des soldats ont été oubliés (voire volontairement effacés) et d’autres où les noms gravés concernent heureusement des personnes ayant survécues. Un grand nombre de ces erreurs provient directement de l’Etat Civil (homonymie, mélanges entre les prénoms déclarés et les prénoms usuels etc.) Les communes ont simplement effectuées un pointage, soit pendant la guerre, soit immédiatement après en vue de la réalisation du monument. Posséder une plaque était en effet un honneur et ne pas en avoir (parce que, paradoxalement, elles n’avaient pas eu de tués) presque une honte. C’est pourquoi le proviseur du lycée de Bar-le-Duc demanda à l’époque aux familles de lui signaler les oublis éventuels.
 


Mémoire des Hommes

Fiches du sous-lieutenant Jean-Marie de Caluwe (1895-1916) et du lieutenant Pierre Ménétrier (1895-1918)


Cette étude reprend donc à son compte - avec les précautions d’usage – tous les noms évoqués dans l’ensemble des listes disponibles, soit 158 individus. Se pose ensuite la question de leur identification. En principe, tous les soldats déclarés morts pour la France possèdent une (parfois plusieurs) fiches manuscrites consultables au Service Historique de la Défense (S.H.D.) à Vincennes. Ces fiches ont heureusement été mises en lignes par le Secrétariat d’Etat aux Anciens Combattants sur le site « Mémoire des Hommes ». Certaines sont manquantes et d’autres comportent des erreurs. Ainsi, Marcel Ferrette (06/07/1915) est noté comme né à Bar-le-Duc le 21 avril 1897 alors que les registres de naissance mentionnent le 21 mars 1898… Les soldats passés dans l’aviation possèdent aussi une fiche au titre de l’aéronautique militaire. Un certains nombre de départements ont également effectués de gros efforts pour rendre accessibles l’Etat Civil antérieur à la Première Guerre Mondiale, éventuellement, comme c’est le cas en Meuse, en le numérisant et en le mettant en ligne. Il est donc assez facile de vérifier l’identité d’une personne. Ces informations ont ensuite été complétées au moyen de la bibliographie. Certains individus avaient d’ailleurs acquis une certaine célébrité.



1 – Les études secondaires en 1914.



Suivre des études secondaires est encore en 1914 quelque chose d’exceptionnel. Séparées pour les filles et les garçons, elles étaient en effet payantes.




11 – Un lycée d’Etat.


Au-delà du socle primaire, le système scolaire se composait de lycées gérés par l’Etat et de collèges communaux qui prenaient les enfants à 6 ou 7 ans (ils comprenaient donc un enseignement primaire assuré de la 11e à la 7e par des professeurs spéciaux et non des instituteurs) et les conduisaient jusqu’au baccalauréat. Il existe en réalité une très grande hétérogénéité entre les établissements des grandes villes qui possèdent des classes préparatoires aux Grandes Ecoles et ceux des petites qui ouvrent des sections techniques. Le lycée de garçons de Bar-le-Duc relève des deux catégories puisqu’il possédait à la fois des sections techniques (Eugène Philippe Ridet était professeur d’horticulture au cours agricole) et des classes préparatoires (11 anciens élèves).




12 – Très peu d’élèves.


Créé par le décret du 17 mars 1808, le baccalauréat est l’aboutissement normal des études classiques mais tous les élèves ne vont pas, loin s’en faut, jusque là ! Depuis 1810, il est le premier grade universitaire et le passage obligé pour les Grandes Ecoles ou la haute fonction publique. Seule une élite obtient ce sésame. De 1881 à 1930, à peine 3 à 4 % des garçons de 10 à 17 ans ont fréquenté l’enseignement secondaire. En 1881, tout juste 1 % d’une classe d’âge réussit le baccalauréat, une proportion qui évolue peu puisqu’elle n’est encore que de 1,1 % en 1911 et de 1,6 % en 1926.




13 – Des réorganisations successives en 1880, 1890 et 1902.


 

L’enseignement secondaire a été plusieurs fois réorganisé entre les années 1860 et la Première Guerre Mondiale. Avant 1880, on distinguait par exemple les humanités classiques et le baccalauréat ès lettres (divisé en deux parties depuis 1874), les classes préparatoires aux Grandes Ecoles qui débutaient alors après la 3e ou la seconde et l’enseignement spécial qui préparaient en un temps plus court aux professions industrielles et commerciales. En 1890, la distinction entre les deux baccalauréats est supprimée. La première partie préparée en classe de « rhétorique » est commune, la seconde se partage entre « philosophie » et « mathématiques ». Les classes préparatoires demeurent en marge de cette réforme et, entretemps, l’enseignement spécial s’est développé beaucoup plus vite que l’enseignement classique. En 1902, nouvelle réforme : l’enseignement spécial disparaît en tant que tel même s’il reste des cours (ex. cours agricole) accessible aux élèves de la section modernes. Après un premier cycle classique commun, les lycéens se partagent désormais entre trois ou quatre sections : latin-grec, latin-langues, latin sciences voire langues-sciences (issue de l’ancien enseignement spécial). En revanche, les classes préparatoires viennent se placer à la fin des études secondaires (mais pas obligatoirement après puisqu’elles peuvent encore se chevaucher ou être structurées comme un cours complémentaires : ex. le cours de saint-Cyr) et non plus en parallèle.




14 - Combien d’élèves et d’anciens élèves du futur lycée Raymond Poincaré ont-ils été mobilisées entre 1914 et 1918 ?


Il est très compliqué, faute de sources, d’évaluer le nombre d’élèves et d’anciens élèves mobilisés au cours de la Première Guerre Mondiale. Il faudrait par exemple posséder la liste exhaustive des anciens élèves. On peut néanmoins avancer un chiffre, qui aura le mérite de donner un ordre de grandeur, en utilisant le taux moyen de pertes connue par l’armée française lors du conflit, soit environ 15 %. Cela donnerait à peu près un millier de mobilisés ; un chiffre crédible lorsqu’on sait que les effectifs du lycée étaient à l’époque bien inférieurs à ceux d’aujourd’hui (très peu d’enfants continuaient leurs études au-delà du certificat d’étude) et que l’échantillon s’étale sur une quarantaine d’années, les dates de naissances des anciens élèves morts pour la France allant des années 1860 aux années 1890.


2 – Etat civil et fonction des individus.


Ces anciens élèves et anciens soldats ne sont pas que des noms sur un monument ou des numéros sur une liste d’appel. Ces hommes possédaient une famille et ils ont laissé des traces tangibles de leur passage. Les héritiers de Pierre Ménétrier (30/10/1918), pilote de guerre mort de la grippe espagnole à 22 ans en 1918 à Chaumont-sur-Aire, conservent ainsi des dizaines de documents, carnets, photographies et dessins récemment mis en ligne. C’est une source irremplaçable pour dépasser un peu la simple fiche qui énumère sèchement l’Etat Civil de nos poilus.




Caricature par Pierre Ménétrier (8 mars 1915)


Pierre Ménétrier est né à Gondrecourt le 19 décembre 1895, quasiment à la même génération que le futur ministre Louis Jacquinot dont le père est maire de Gondrecourt. Elève du lycée de Bar-le-Duc, il est tenté par une carrière artistique (ses archives conservent des dizaines de dessins et de caricatures composées durant la guerre) mais sur, les conseils de son professeur de mathématiques, il présente saint-Cyr en juin 1914 et il est reçu. Engagé à Reims, le 19 Août 1914 au 13ème bataillon alpin, il est nommé caporal deux mois plus tard à l'école spéciale militaire de Saint-Cyr repliée au camp de La Valbonne. Sous-lieutenant dès le 5 Décembre, il est affecté, après une formation accélérée, au 97ème régiment d'infanterie de Chambéry en Janvier 1915. Il rejoint immédiatement le front et obtient sa première citation à l’ordre de la division en juin. Lieutenant à titre temporaire, il commande rapidement une compagnie (il n’a pas encore 20 ans). Blessé, Pierre Ménétrier est évacué vers Bar-le-Duc au début de la bataille de Verdun. Mais il rejoint son poste en avril avant d’être confirmé dans son grade en décembre, date à laquelle il est détaché à l’Etat Major de la 88e Brigade. Il passe dans l’aviation en juillet 1917, comme élève observateur (à l’époque, il ne s’agit pas d’une armée distincte) et il suit les cours d’artillerie au centre d’organisation de l’artillerie lourde de Sézanne. Nommé observateur à l'escadrille F1 (33ème corps d'armée) en Août 1917, il est nommé chevalier dans l'ordre de la légion d'honneur avec attribution de la croix de guerre avec palme le 1er Juin 1918. Il décède le 30 Octobre 1918 des suites de la grippe espagnole à l'hôpital de Chaumont sur Aire (Meuse) à l'âge de 22 ans.

 


Photographies et notes du lieutenant Pierre Ménétier



21 - La fonction.



Le corpus se partage entre 4 personnels de l’établissement (3 professeurs et 1 employé administratif) et 154 élèves : 143 élèves du lycée proprement dit et 11 issus des classes préparatoires. Pour les enseignants, il s’agit de René Eugène Gateaux (03/10/1914), professeur agrégé de mathématiques en congé, de Louis Honoré Bailly (17/12/1914), professeur de gymnastique, d’Eugène Philippe Ridet (03/09/1914), professeur d’horticulture au cours agricole, et de Camille Joseph Moureaux (15/07/1916), sous-économe. Une douzaine de membres de l’encadrement du lycée ayant été mobilisés, le taux de pertes atteint donc près du tiers de cette catégorie !

L’un d’entre eux, pourtant encore très jeune, avait déjà acquis une certaine notoriété avant 1914. Il s’agit de René Gâteaux. Né à Vitry-le-François en 1889, d’un père bourrelier et d’une mère couturière, orphelin, il poursuit comme boursier des études secondaires au lycée de Reims, passe le baccalauréat à 15 ans avant de réussir deux ans plus tard, en 1907, le concours d’entrée à l’Ecole Normale Supérieure. Il se convertit d’ailleurs au catholicisme durant son séjour à l’Ecole et se spécialise dans les mathématiques. Après sa réussite à l’agrégation en 1910 (11e), il effectue deux années de service militaire, comme l’exigeait la loi de 1905, la première comme simple soldat, la seconde comme sous-lieutenant. En 1912, il est nommé au lycée de Bar-le-Duc, moment il commence une thèse sur des thèmes relevant de l’Analyse fonctionnelle. Il obtient d’ailleurs une bourse de la fondation David-Weill qui lui permet de partir travailler auprès du professeur Volterra à Rome d’octobre 1913 à octobre 1914, époque où il commence d’ailleurs à publier. Il s’apprêtait à repartir en Italie lorsqu’il est surpris par la déclaration de guerre. Mobilisé comme lieutenant au 269e RI de Toul, chef de la 2e section de mitrailleuses du 6e bataillon, il participe à la course à la mer et est tué en Artois le 3 octobre 1914 à l’entrée du village de Rouvrois. Dans la confusion, son corps est enterré hâtivement. Il ne sera exhumé qu’en 1921 et inhumé à la nécropole nationale de Neuville-Saint-Vaast –tombe N°76). Dès août 1915, Hadamard, professeur au collège de France, et son ancien collègue de l’Ecole Normale Paul Lévy travaillent à l’édition posthume de ses travaux. Ils lui obtiennent d’ailleurs le prix Francoeur en 1916.



 


 

 

22 – Les noms de famille.


Pour 158 individus inscrits sur les listes, on décompte 146 noms différents, soit une douzaine de cas où des frères et des cousins peuvent avoir été tués. Dans l’état actuel de la recherche un lien de parenté n’a pas encore été établi pour chacun d’entre eux. Certains indices sont cependant troublants. Lucien (06/09/1918) et Paul (28/09/1915) Champenois étaient nés tous les deux à Cousances-les-Forges (55), respectivement en 1886 et en 1888. Charles Edouard (05/11/1914) et Henri (05/06/1915) Chaumont étaient ardennais. Jean-Louis (19/02/1916) et Marcel Murel (24/12/1916) sont également natifs de la même localité, Chardogne (55), où leur mort à été légalement enregistrée, respectivement en 1915 et en 1918. Grâce à la mise en ligne des registres de naissances, mariages et décès par les archives départementales de la Meuse, il est possible de lever assez rapidement les doutes. Jean-Louis, né le 17 août 1891, était le fils d’Excelmance Murel, cultivateur à Chardogne, et de Victorine Délina Maupoix. Quant au pilote aviateur Marcel Murel, on trouve également mention de lui sur les registres communaux, à la date du 2 juillet 1893, comme fils du même couple d’agriculteurs. Leurs noms se trouvent sur deux faces du monument aux morts du village, à l’entrée du cimetière, non loin de la tombe familiale. On imagine la douleur de cette famille, doublement frappée et en si peu de temps.




Cimetière de Chardogne (55) – Monument aux morts


 

Certains noms nous demeurent encore familiers, soit parce qu’il s’agit de noms fréquents dans la région, soit parce que certains sont ou ont été célèbres, soit enfin parce qu’une rue ou un lieu connu porte leur nom. Le capitaine Paul Buvignier (18/09/1914), chevalier de la Légion d’Honneur, polytechnicien de la promotion 1888 et donc artilleur, possède un patronyme respecté, celui d’une famille du Verdunois qui s’est brillamment illustrée au XIXe siècle dans la politique, dans la science et dans les lettres. Un collège de Verdun rappelle d’ailleurs encore aujourd’hui leur mémoire. Son père, François-Charles était né à Herméville (Meuse) en 1830 et il faisait profession d’économe de lycée… Enfant, Paul avait dû le suivre au grès de ses diverses affectations dans le centre de la France (Châteauroux, Niort) avant de revenir à Bar-le-Duc où son père est mort en 1907 et sa mère seulement en 1926. Le chef-lieu de la Meuse est aussi indiqué sur sa fiche comme son dernier domicile connu à l’occasion de la transcription de son acte de décès en 1915.





Cimetière de Chardogne (55) – Tombe de la famille Murel – Maupoix.


La famille De L’Escale, qui a eu deux tués, Antoine (25/04/1915) et Maurice (22/09/1914), est connue dans le Barrois depuis la Renaissance. Durant la guerre de Trente ans, cette famille de la petite noblesse était d’ailleurs très proche de la comtesse de Saint-Balmont. Ils occupèrent longtemps le château d’Erize-la-Grande, à quelques kilomètres seulement de Neuville-en-Verdunois, où vécu autrefois l’Amazone lorraine. L’instituteur qui a rédigé la notice historique du village, à l’occasion du centenaire de la Révolution, mentionne cette famille qui s’illustrait à la fin du XIXe siècle surtout dans la magistrature et dans la carrière des armes. Le capitaine Antoine De l’Escale, né non loin de là à Villotte-devant-Louppy le 20 décembre 1872, porte d’ailleurs un prénom traditionnel dans sa famille depuis le XVIe siècle. Son père est mentionné sur l’acte de naissance comme étant rentier.


 


Source : AN - Le député Henry Ferrette (1869-1933) – A.D.Meuse 2E29(121) – Acte de naissance de Marcel Ferrette (1898)

Troisième exemple, celui de Marcel Ferrette (06/07/1915). Encore élève du lycée Poincaré, il devance l’appel et s’engage comme volontaire dès 1915, alors qu’il relève de la classe 1917. Il passe du 351e RI, un régiment de réserve, au 36e RI, un régiment d’active et est nommé sergent. Il est très rapidement tué à l’ennemi, au combat du bois Le Prêtre en Meurthe & Moselle. Il n’avait que 18 ans. Or, Marcel est le fils d’un homme politique connu nationalement et un ennemi personnel du président Poincaré : l’ancien député de Bar-le-Duc Henry Ferrette (un ami politique du lieutenant-colonel Driant, député de Nancy, et comme lui un homme de droite). Marcel était né seulement deux mois avant la première élection de son père. Il ne fut donc manifestement pas un planqué contrairement à ce que les relations de son père auraient pu lui permettre ! Non seulement des élus de premiers plans ont été tué au feu (comme Abel Ferry, neveu de Jules, ministre en 1914) ou gravement blessé (comme André Maginot) mais les proches des représentants de la nation n’ont eux mêmes pas été épargnés. A droite comme à gauche, l’histoire politique de la France depuis 1871 et l’éducation reçue poussent les jeunes vers l’engagement.

Un dernier cas, particulièrement émouvant, associe un ancien élève à son père, lui-même militaire de carrière. La famille de Caluwe est d’origine belge. Le père, Honoré Jean, est né en 1860 à Wachtebeke et il s’est engagé à titre étranger en 1883 au sein de la Légion. Il est représentatif de cette génération, celle du colonel Marchand et de nombreux chefs de l’armée française de 1914 (Joffre, Mangin…) qui s’est illustrée dans la conquête de l’Empire Colonial Français. Il participa ainsi à la campagne d’Afrique (1883-1884), puis à celle du Tonkin (1884-1887) avant de revenir en Algérie. Nommé sergent, il intègre l’école de Saint-Maixent dont il sortit sous-lieutenant en 1888. Naturalisé français en 1889, il passe au 91e RI où il effectue le reste de sa carrière jusqu’à sa retraite en 1908. Il s’installe alors à Beauzée-sur-Aire avec Marie Huillon, épousée en 1889, et son fils Jean Clément (08/06/1916) né en 1895.

A la déclaration de guerre, Honoré de Caluwe est rappelé au service comme capitaine trésorier au dépôt de son régiment mais il rejoint les lignes dès 1er octobre. Passé au 291e RI, le régiment de réserve du 91e, il prend le commandement de la 23e Compagnie à la tête de laquelle il s’illustre tout particulièrement dans la nuit du 1er au 2 mars 1915. Blessé par balle au bras droit puis par un coup de baïonnette à la main gauche, il terrasse malgré tout son adversaire. Promu chef de bataillon (commandant), il incorpore le 89e RIT (une unité territoriale) en 1916 puis le 26e RIT. Il est blessé de nouveau à Villers Franqueux en mai 1918. Là où l’histoire est terrible, c’est que le père retrouve le fils durant la guerre. Bien que de la classe 1915, celui-ci s’est porté volontaire dès 1914 et il est affecté comme sous-lieutenant au 291e RI. Heureusement, Honoré Jean a été muté sur autre théâtre d’opération lorsque Jean Clément est tué à l’ennemi à Fleury-devant-Douaumont pendant la bataille de Verdun : « Jeune officier plein d'entrain et remarquable par son esprit du devoir. Le 8 juin 1916 sa section étant soumise à un violent bombardement et à un tir d'enfilade de mitrailleuses, soutenait ses hommes par sa gaieté et son " cran ". Blessé mortellement le même jour en repoussant une attaque, avant de mourir ne s'occupait pas de lui, mais uniquement de la non-réussite de l'attaque. » (Citation à l'ordre de l'Armée de Jean Clément de Caluwe).




Capitaine Honoré de Caluwe (1860-1933)


Le chef de bataillon Charles Salducci (24 septembre 1916) qui commandait le 303e RI n’eut pas cette chance relative. Il avait auparavant commandé par intérim le 330ème RI, unité où servait son fils, le lieutenant Jean René Salducci. Or, le 6 septembre 1916, celui-ci est porté disparu et ce n’est que le 24 septembre que l’on eu la preuve de sa mort. On en avisa le commandant qui, devant une si violente nouvelle, mourut d’une crise cardiaque. Vu les circonstances, les autorités militaires retinrent « la maladie contractée en service » comme cause du décès, ce qui lui vaut d’être aujourd’hui sur la plaque des anciens élèves morts pour la France.




23 – Le prénom.


Comme il était alors de tradition, plus des trois quart des anciens élèves de Poincaré portent des prénoms multiples, ce qui pose un véritable problème d’identification. Le prénom usuel n’est en effet pas toujours le premier déclaré à l’Etat Civil, souvent il s’agit même du dernier. Sur un total de 71 prénoms différents, les plus fréquents sont tout naturellement Jean et Marie (6 % chacun) suivi de Louis, Henri, Georges et Charles. Il y a en effet peu d’originalité dans le baptême des garçons à la fin du XIXe siècle, l’inventivité étant davantage réservée aux filles.



 



24 – Le département de naissance.


Le lieu et donc le département de naissance ont été identifiés pour 149 individus dans les limites administratives actuelles.




Le département de naissance des anciens élèves du Lycée Poincaré de Bar-le-Duc

morts pour la France (1914-1919)


Classement par grandes régions
Nombre
Paris & Île de France
4
Est
129 (86 %)
Dont Meuse
100 (67 %)
Alsace Moselle
2
Ouest
10
Sud-Ouest
1
Sud-Est
1
Nord
2
Total
149






Sans surprise, l’énorme majorité des tués du lycée Poincaré est originaire de la région. Un quart est né à Bar-le-Duc, les deux tiers sont meusiens et 86 % proviennent du Grand Est (Marne = 11, Meurthe & Moselle = 6, Vosges et Haute-Marne = 4, Ardennes = 3). Il y a quelques parisiens, plusieurs Bretons et même deux Alsaciens-Lorrains. Le capitaine René Ernest Klein (27/06/1916), né à Strasbourg en 1880, engagé volontaire en 1898 au 40e RI et tué à la côte du Poivre en 1916, avait personnellement choisi la France à 18 ans. Le cas du général de brigade Paul Venel (25/03/1920) est différent car, plus âgé, il était né en Moselle en 1864, c’est toute sa famille qui avait opté pour la France après le traité de Francfort de 1871. La plupart des membres de l’échantillon est donc constitué de Français de la frontière.

N’oublions pas que celle-ci passe seulement à une cinquantaine de kilomètres à l’Est de Bar-le-Duc, derrière Pont-à-Mousson, et que cela n’est pas sans conséquences sur les mentalités des habitants. A partir de 1910, on note d’ailleurs un peu partout en France et surtout au sein de la jeunesse, un renouveau des idées patriotiques et surtout nationalistes dont a rendu à l’époque compte l’enquête Agathon. C’est la génération d’Ernest Psichari et de Charles de Gaulle. Elle prend pour porte-flambeau un homme un peu plus âgé qu’eux : Charles Péguy.








25 – Etudes et métier.

Les fiches mises en ligne par le secrétariat d’Etat aux Anciens Combattants ne mentionnent pas la profession des hommes morts pour la France mais il est possible d’en tirer quelques déductions. Les dix officiers supérieurs (à partir de commandant / chef de bataillon et au-delà), vu leur niveau hiérarchique, sont sans doute des militaires d’active, c’est-à-dire professionnels. Le lycée de Bar-le-Duc possédait d’ailleurs avant guerre une classe préparatoire à Saint-Cyr dont l’élève le plus célèbre fut le général Estienne, natif des Hauts-de-Chée et inventeur du char de combat. L’annuaire 1960 des anciens élèves fournit un tableau très utile qui donne la liste des lauréats du prix fournit pas l’association. Il mentionne 6 anciens élèves morts pour la France durant la Première Guerre Mondiale comme ayant été lauréat entre 1894 et 1917, dont deux qui l’ont reçu deux fois. La moitié a été primée pour le cours de « Saint Cyr » : Edmond Pennehout (12/11/1914) en 1894, René Regnault ( ?) en 1905 et Marie Georges Leclancher (24/08/1914) en 1907. Les officiers subalternes (d’aspirant à capitaine) peuvent-être de simples appelés qui effectuent leur service militaire (passé à trois ans peu avant la guerre), des réservistes (mais le fait d’être affecté à un régiment de réserve n’est pas une preuve) ou des soldats d’active. Pierre Ménétrier qui était encore élève au moment de la déclaration de guerre venait quant-à lui de passer les épreuves de Saint-Cyr sur la suggestion d’un de ces professeurs. Il fut reçu et incorporé d’une manière accélérée… L’hécatombe en chefs de sections lors de la bataille des frontières rendait nécessaire de renouveler rapidement les effectifs, à la fois dans l’active mais aussi dans la réserve, en promouvant tout ceux qui peu ou prou avait fait quelques études ; à commencer par les instituteurs !


Il n’y a en revanche aucun doute pour le général Paul Venel (25/03/1920). Né en Moselle, il effectue ses études au lycée de Bar-le-Duc jusqu’en 1882 avant d’entrer à Saint-Cyr. Général de brigade, il survit à la guerre et est affecté à Cherbourg comme adjoint au général gouverneur militaire. Malade, il est rapatrié à Nancy, puisque son domicile officiel est à Amance. Amputé de la jambe droite à l’hôpital de Nancy, il meurt à seulement 56 ans en 1920.

Il faut s’arrêter sur le cas peu banal du dernier de la liste : le médecin major Marie Zemb (03/09/1919). Né le 3 novembre 1881 à Bar-le-Duc, il sort du lycée en 1898 et intègre le service de santé des armées. En 1914, il est médecin au 4e régiment de marche de Zouaves. Retraitant face à l’avancée allemande (nous sommes avant la contre-offensive de la Marne), ne pouvant l’évacuer, il se résout à confier un soldat atteint de fièvre dénommé Louis Letermélier au maire et aux adjoints d’un petit village. Mais ceux-ci paniquent et, de peur de représailles de la part des Allemands, ils décident le 3 septembre 1914 de noyer le malade dans la Marne. Après guerre, la famille contactée par des témoins locaux entame une procédure, mais le juge d'instruction de Château-Thierry rend une ordonnance de non-lieu entrainée par le décès du Maire en 1921. Il n’est pas sûr que le docteur Zemb ait connu les développements dramatiques de cette histoire. Mais, signe du destin, alors qu’il a lui-même été renvoyé en Tunisie pour soigner une tuberculose contractée en service, il y meurt le 3 septembre 1919, cinq ans jour pour jour après son ancien patient !


 


Marie Zemb (1881-1919) - Louis Letermélier (1889-1914)


Une rapide recherche a permis de trouver des informations sur quelques civils. Paul Buvignier apparaît en effet dans l’annuaire des anciens élèves de l’Ecole Polytechnique, promotion 1888, l’année même où il a quitté le lycée de Bar-le-Duc. A cette époque, on pouvait en effet entrer à l’X depuis une classe préparatoire meusienne… Pierre Albert Goutier (5/09/1917), né en 1894 dans la Marne, n’a pas terminé ses études à Bar-le-Duc, sans doute parce que fils de fonctionnaires (c’est juste une hypothèse), il a dû suivre ses parents au grès d’une mutation et fréquenter un autre établissement. Il a quitté le lycée en 1906 (rappelons que le terme « collège » n’existait alors pas et que le lycée durait de la 6e à l’année de philosophie). Mais nous retrouvons son nom au sein de la promotion 1919 de l’Ecole Centrale. Ne nous y trompons pas, l’année de promotion est à Centrale celle de sortie contrairement à Polytechnique où c’est l’année d’entrée. Pierre venait juste de réussir le concours et, relevant de la classe 1914, il a immédiatement été incorporé. Mais en tant que futur ingénieur, il a été appelé dans l’artillerie de campagne puis plus tard dans l’aviation d’observation (la première fonction de l’aviation était en effet de contribuer au réglage d’artillerie). Jules Mairey (12/06/1915), un Franc-Comtois né à Froideconche en 1877, prix de philosophie en 1894, était enfin agrégé de l’Université, un titre autrefois fort rare qu’il partage avec René Gâteaux. Encore en 1942, lorsque le grand historien Georges Duby a passé l’agrégation d’Histoire, le nombre de postes offerts était par exemple seulement de … 8.

La comparaison de la liste du monument aux morts avec celle des membres fondateurs décédés à la date de 1960 permet de retrouver un certains nombre de noms. Le colonel Louis Bonne (26/09/1915) est sans aucun doute apparenté à Ferdinand Bonne, avoué à Paris, Henri Bonne, conseiller à la cour d’appel de Paris, et Joseph Bonne, colonel d’infanterie : soit deux frères ou cousins qui ont fait carrière dans l’armée et deux dans la magistrature. La relation est certaine entre Maurice Desoutter (11/06/1918) et André Desoutter, ingénieur, industriel fromager à Maison-du-Val (55) puisque l’ancien élève était lui même en 1888 né à Noyer-le-Val, chef lieu de cette commune. On peut aussi rapprocher Paul Lechaudel (15/03/1915) et Camille Lechaudel, ancien maire de Juvigny-en-Perthois (55) ou Jean Joseph Rouyer (6/09/1914) et Albert et Charles Rouyer, ce dernier ancien conseiller à la cour d’appel de Paris.

Le même annuaire donne la liste des membres toujours vivants en 1960, une liste très intéressante puisque beaucoup de membres appartiennent à la même génération que nos poilus. Jean Arnould, général en deuxième section, s’appelle comme le capitaine Louis Arnould (12/02/1915). Or, celui-ci a dû entrer en classe préparatoire en 1891 alors que Jean a effectué sa scolarité au lycée entre 1891 et 1900. S’ils ne sont pas parents, ces presque homonymes ont dû se croiser. Melle Anne-Marie Barbillon, employée de poste à Nancy, porte également le même patronyme qu’Henri Barbillon (20/08/1914), un nom de surcroît peu courant en Meuse. André Cordebard (22/04/1917), sorti du lycée en 1907, y a aussi été élève en même temps qu’Henri Cordebard, professeur à la faculté de pharmacie de Nancy et ancien combattant détenteur de la croix de guerre 1914-1918. On retrouve aussi sur cette liste un autre Desoutter, Jean-Joachim, officier de la Légion d’Honneur et croix de guerre, élève entre 1902 et 1906, ingénieur, agriculteur et industriel à Noyer-le-Val. On peut de la même manière tenter de rapprocher Louis Guillaume (28/02/1916) de Naives et Henry Guillaume, docteur en médecine à Bar-le-Duc ; Frédéric (29/08/1914), Henri (25/09/1916) et Jean Parisot (1/11/1918) et André-Jacques Parisot, élève de 1914 à 1920, secrétaire général honoraire de la préfecture (ancien résistant) ou Melle Simone Parisot, secrétaire médicale à Bar-le-Duc ; Charles Pernet (14/04/1915) et René Pernet, avoué à Briey ; René Regnault ( ?) et Gabriel Regnault, herbager à Pargny-sur-Saulx (51) ; Jean Rouyer (6/09/1914) et Marcel Rouyer, agriculteur à Bar-le-Duc (croix de guerre 1914-1918) ou Marie Joseph Vallet (22/08/1914) et Albert Vallet, colonel et avocat.

La méthode est hasardeuse mais elle vient confirmer ce que nous savions d’ailleurs déjà, c’est-à-dire que les anciens élèves appartenaient à des milieux favorisés. Certes, un système de bourse ou de demi-bourse qui remonte à l’Empire permettait à des élèves de familles modestes de suivre des études secondaires (voir l’exemple de Charles Péguy). Celles-ci leur permettaient alors de s’intégrer à l’élite au nom de la promotion républicaine. On trouve donc tout naturellement dans notre liste et autour de nos soldats : des juristes, des fonctionnaires voire des hauts fonctionnaires, des médecins, des ingénieurs, des industriels et des officiers.




3 – Le statut militaire.

Il convient maintenant d’aborder la situation de nos poilus vis-à-vis de l’armée, leur recrutement, leur niveau hiérarchique dans les forces ainsi que leurs spécialités.


31 – Classe d’appel et lieu de recrutement.

Les obligations militaires ont beaucoup changées en France entre 1880, année où l’aîné des anciens élèves atteint l’âge de 20 ans et la Première Guerre Mondiale. La notion de « service militaire » remonte à la Révolution Française et à la loi Jourdan de 1798. Si le service de 5 ans est en principe universel et obligatoire, il est fortement tempéré par le tirage au sort des conscrits et la possibilité du remplacement qui permet de « payer un homme » pour y échapper. La loi Freycinet de 1889 le réduit à 3 ans et supprime les exemptions pour les enseignants, les élèves des grandes écoles et surtout les ecclésiastiques. En 1905 (loi Berteaux préparée par le général André), il devient réellement personnel et universel pour une durée de 2 ans avec des possibilités de sursis notamment pour les étudiants. Cette loi poursuit deux objectifs : un objectif d’égalité (une majorité radicale est au pouvoir) et un objectif d’efficacité, il s’agit de mettre en ligne des effectifs suffisants contre l’Allemagne qui bénéficie d’un différentiel démographique très favorable. L’armée d’active formée des cadres professionnels, des engagés et des appelés doit, selon les plans, servir de couverture aux frontières pendant la mobilisation des réservistes, mobilisation qui peut prendre plusieurs semaines. Après un long et houleux débat parlementaire, la loi Barthou du 7 août 1913 (fortement appuyée par le président de la République Raymond Poincaré qui sur ce point est sorti de la réserve que lui imposait les institutions de la IIIe République) fait passer le service militaire à 3 ans. André Maginot, un jeune parlementaire meusien, aura joué un rôle majeur dans ce débat.

 

 

La classe d’appel correspond à l’âge auquel le jeune doit effectuer ses obligations militaires, en principe à vingt ans. Elles s’étalent sur près de quarante ans entre 1880 à 1918 mais avec de gros effectifs entre 1908 et 1917. C’est là où nous allons trouver beaucoup de ces jeunes chefs de sections tués durant la guerre. Rien n’empêchait cependant de devancer l’appel ; ce que 9 anciens élèves ont fait (De Caluwe, Ferrette, Klein, Mourer Pierre, Murel Marcel, Racher, Roussey, Samson et Viriot), dont 5 qui s’engagent durant la guerre dès leurs 18 ans. Ce phénomène n’est pas anodin, il rappelle le parcours d’un autre élèves du lycée de Bar-le-Duc destiné à une brillante carrière politique sous la IIIe, la IVe puis à la Ve République : Louis Jacquinot. Né en 1898 à Gondrecourt, élève au lycée de Bar-le-Duc, celui-ci s’engage dès 1916 dans l’artillerie lourde puis comme officier de liaison auprès des Américains. En 1919, il rejoint même, comme De Gaulle, le corps expéditionnaire qui soutient les Polonais contre l’invasion bolchevique. Certains des noms sur le monument aux morts étaient donc ces anciens camarades. Enfin, n’oublions pas que pour compenser les pertes, le gouvernement a parfois dû anticiper lui-même l’appel des classes. La classe 1915 a ainsi été appelée en décembre 1914 plutôt qu’en octobre 1915, celle de 1916 dès avril 1915…



3.2 – Grade et niveaux hiérarchiques.

Pour toutes les raisons invoquées plus haut, origines sociales et études, la plus grande part des anciens élèves morts pour la France appartenait au corps des officiers mais pour des raisons d’âge, plutôt à celui des officiers subalternes.

 

 

L’imposition du service militaire universel après 1905 puis la loi des trois ans de 1913, avant même les effroyables pertes en officiers de 1914, ont rendu en effet nécessaire la formations d’importantes quantités d’officiers de réserve afin d’encadrer l’augmentation du nombre de soldats sous les armes.



 

 

Une part importante est néanmoins constituée de simples soldats et surtout de sous-officiers. Même s’ils n’avaient pas continué le lycée jusqu’au baccalauréat, voire même s’ils n’avaient suivi qu’une section technique, leur niveau d’instruction a permis à l’armée de puiser dans leur vivier.

33 – Unité et subdivision d’arme.

Même les plus anciens se sont retrouvés mobilisés. En effet, à l’issue du service actif de 2 ou 3 ans, l’individu intégrait la réserve de l’armée d’active pendant 11 ans, l’armée territoriale pendant 7 ans puis la réserve de l’armée territoriale pour encore 7 ans. En 1914, l’armée d’active est formée des classes d’âges 1891-1893, la réserve, des classes 1881 à 1890, la territoriale des classes 1875 à 1880 et sa propre réserve des classes 1869 à 1874. Or, très vite, même des soldats territoriaux ont dû être engagés en premières lignes ; cette organisation est donc devenue caduque. Des soldats initialement réformés se sont aussi vus affectés en territoriale malgré leur jeune âge.

 

 

 

L’immense majorité de l’effectif a été recruté en Meuse (bureau de la commission de révision) : 88 à Verdun (62 %), 10 à Châlons-sur-Marne et 9 à Bar-le-Duc (6 %), 5 dans le département de la Seine (Paris et actuelles banlieues), 4 à Toul, à Neufchâteau et à Mézières et 3 à Nancy. Les plus lointains se sont présentés à Cherbourg, à Rouen, à Saintes ou à Montpellier.

L’essentiel de nos tués dépendait de l’armée d’active, soit parce qu’il s’agissait de militaires professionnels, soit parce qu’ils étaient en train de faire leur service militaire, soit enfin parce, l’armée manquant de cadres, ils ont été affectés dans les régiments de première lignes. En temps de guerre, les effectifs des régiments d’active étaient d’ailleurs immédiatement complétés par les classes récemment libérées. On assiste aussi à un certain nombre de cas à des mutations d’un régiment de réserve vers un régiment d’active ; la différence entre les deux ayant d’ailleurs tendance à s’effacer durant la guerre. Le numéro du régiment dans la nomenclature de l’armée française est cependant très parlant. Les régiments d’active sont numérotés de 1 à 176, les régiments de réserve de 201 à 421 (plus 145 régiments territoriaux (RIT) décomptés à part). Le régiment de réserve est dérivé du régiment d’active (d’où des échanges de personnel) dont il reprend le chiffre augmenté du 200. Le 294e Régiment d’Infanterie était ainsi tiré du 94e RI en résidence à Bar-le-Duc. Les bataillons de chasseurs à pied étaient quant à eux numérotés de 1 à 32 et leurs unités de réserve de 41 à 72 (soit le premier chiffre plus 40).

Le recrutement des unités étant majoritairement local, 16 anciens élèves ont appartenu au régiment de Bar-le-Duc et 3 à sa doublure de réserve. Mais la plupart des autres se sont aussi retrouvés à plusieurs dans le même régiment ou bataillon de chasseurs : 2 au 19e RI et au 22e, 3 au 26e de Nancy et Toul, 2 au 136e et au 146e de Toul, 4 au 150e de Saint-Mihiel et au 154e, 6 au 155e de Commercy, 2 au 162e et au 164e, 4 au 168e, enfin 3 au 303e et au 370e. La comparaison des dates de décès montrent d’ailleurs souvent qu’ils sont tombés le même jour, parfois au même endroit. Même chose dans la cavalerie (2 au 12e dragons) ou les chasseurs à pied (2 au 19e BCP - Verdun et 3 au 25e – Saint-Mihiel).

Force est donc de constater que la majorité de nos soldats sont des locaux qui ne se sont pas contentés de fréquenter quelques années le lycée de Bar-le-Duc avant de suivre leurs familles ou une carrière ailleurs en France. Ils ont pour la plupart d’entre eux été recruté sur place et ont été affectés à une unité de la région.



 

 

 

On peut classer ces unités en fonction de leur but opérationnel : le combat dans la mêlée (infanterie, cavalerie), l’appui (artillerie, génie) et le soutien (service de santé etc.). Nos soldats ont été pour l’énorme majorité d’entre eux des combattants de première ligne. D’ailleurs, même les artilleurs se trouvaient à proximité des combats, les régiments concernés relevant de l’artillerie de campagne (le célèbre canon 75) et non de l’artillerie lourde qui tirait de plus loin. Plusieurs ont même appartenu à la fin du conflit à ce qu’on appelait encore l’artillerie d’assaut, c’est-à-dire les premiers chars de combat.



 

 

Plus des trois quart de nos poilus ont combattu dans l’infanterie (en ajoutant la ligne, les chasseurs et l’infanterie coloniale), plus même lorsque l’on sait que beaucoup d’unités de cavalerie ont été démontées pour aller combattre dans les tranchées. Par rapport au reste de l’armée française, on note cependant une très surreprésentation des « armes savantes » (artillerie, génie), dans lesquelles étaient affectées prioritairement les élèves sortis de grandes écoles (polytechnique, centrale…), les ingénieurs et les scientifiques en général. C’est aussi le cas de l’aviation. Cinq anciens élèves ont été tués comme pilote ou comme observateur (Charoy Emile, Goutier, Ménétrier, Murel Marcel, Tournadre).


4 – Le décès.

L’information la plus importante donnée à la fois par le monument au mort mais aussi les fichiers du secrétariat d’Etat aux Anciens Combattants concerne bien entendu la date du décès des anciens élèves.

41 – La chronologie des pertes.

Contrairement à ce qu’on imagine souvent, les pertes les plus importantes n’ont pas eu lieu à l’occasion des offensives à outrance (Somme – 1915, Chemin des Dames – 1917) ou même durant les phases les plus critiques de la guerre d’usure (Verdun – 1916) mais lors des premiers combats à l’automne 1914.

 

 

La chronologie des pertes du lycée de Bar-le-Duc est assez représentative avec plus de 30 % des morts rien que durant les quelques mois de 1914, soit 1 par semaine. Elles diminuent ensuite régulièrement : 3 par mois en 1915 et 1916, 1 par mois en 1917, avant une reprise en 1918, 2 par mois, en raison du retour de la guerre de mouvement. On imagine la consternation au lycée de Bar-le-Duc lorsque les décès confirmés commencèrent à se multiplier !



 

Le graphique des pertes mensuelles ainsi que le tableau en annexe confirment ces constatations en attirant notre attention sur le tout début du conflit. Des uniformes très voyants (les pantalons garance) et un temps d’automne magnifique, un règlement de manœuvre inadapté au feu des armes automatiques, l’absence de protection du combattant (pas de casques), les erreurs stratégiques, tout ceci expliquent les pertes énormes des premiers jours. Le premier à tomber, le 12 août 1914, est le brigadier Lucien Bosseler (en réalité, blessé peu de temps auparavant, il meurt à l’hôpital temporaire N°7 de Verdun). Le soldat Georges Stiegler n’a pas de chance, il décède en captivité en Allemagne, de pneumonie, le 11 novembre 1918, jour de l’armistice. Cinq anciens élèves sont tués le même jour, le 22 août 1914 et encore 4 d’entre eux le 6 septembre. Or, le 22 août est appelé par les historiens, le jour de deuil de l’armée française : ce jour là, au paroxysme de la bataille des frontières, elle connaît les plus grosses pertes de son histoire, autant que durant l’ensemble de la guerre d’Algérie. Le 6 septembre, c’est la bataille de la Marne qui commence.

42 – Les causes de la mort.

Sans donner de détails, les fiches de Mémoire des Hommes fournissent des informations sur les circonstances de la mort. Deux tiers sont tombés à l’ennemi, un quart sont décédés par la suite du fait des blessures reçues lors des combats et près de 10 % de maladie.

 

Seulement 5 parmi les anciens élèves ont disparus, c’est-à-dire qu’aucun témoignage, ni français, ni allemand, n’a été recueilli les concernant. N’oublions pas que la plupart des décès sont causés non par des balles mais par des explosions et de nombreux corps n’ont jamais été retrouvés. Un jugement rendus des années plus tard confirme néanmoins la mort afin de permettre aux ayants droits d’être indemnisés.



 

43 – L’âge au décès.

De manière tout à fait attendu, il s’agissait d’hommes jeunes ayant en majorité entre 20 et 29 ans. Le benjamin n’avait que 18 ans et l’aîné 56. Si la moyenne s’établit à 29 ans, la médiane (qui coupe l’effectif en deux moitiés égales de 123 individus) monte seulement à 27 ans.



44 – Le lieu de décès.

Les lieux du décès peuvent être catalogués en trois catégories. Les différents fronts en Europe, les fronts étrangers et l’empire colonial, enfin l’arrière où meurent des blessés mais également deux anciens élèves mentionnés comme accidentés. La plupart des anciens élèves sont des locaux qui meurent parfois à seulement à quelques kilomètres de leur lieu de naissance, en tout cas majoritairement sur le front de Lorraine.



 

Le Lieutenant Colonel Georges Dubois, né à Wassy en 1870 et qui n’était pas initialement sur la plaque officielle du lycée, est mort le 3 avril 1917 des suites de ses blessures à l’hôpital militaire français de Jassy (Iași, ancienne capitale de la principauté de Moldavie et 2e ville de Roumanie après la capitale Bucarest). Après avoir brillamment servi sur le front de l’ouest, notamment à la tête du 174e RI, c’est le seul de l’échantillon à avoir réellement été tué sur un théâtre de combat étranger, en l’occurrence le front d’Orient, au sein de la mission militaire du général Berthelot.






Ceux qui sont mentionnés comme décédés en Allemagne (et en Alsace-Moselle) sont en réalité des prisonniers morts de maladies ou de leurs blessures dans un hôpital allemand. Eugène Ridet blessé à Muzeray le 25 août 1914, a ainsi rendu l’âme le 3 septembre dans le lazaret de Diedenhofen (Thionville). Georges Jeanpierre (16/03/1916), grièvement blessé pendant la bataille de Verdun, décède également à l’hôpital Saint-Clément de Metz. Les six anciens élèves morts en Belgique, l’ont été au cours des tout premiers jours de la guerre ou pendant la retraite qui précède la bataille de la Marne. Après la stabilisation du front, dans l’hiver 1914-1915, une petite partie du territoire belge n’est pas occupé par l’Allemagne. C’est pourquoi René Bombardier trouve la mort le 18 mars 1915 près de la tristement célèbre ville d’Ypres, là où furent pour la première fois utilisés des gaz de combat (le 25 décembre 1914, c’est là qu’eurent lieu les fraternisations racontées dans le film Joyeux Noël). Après avoir été grièvement blessé au combat de Locre le 29 avril 1918, au moment d’une des offensives de Ludendorff, Charles Apert (30/04/1918) vécut ses derniers instants à l’hôpital militaire anglais d’Arneke.

Quelques uns sont décédés non pas dans un hôpital provisoire ou une ambulance du front mais dans un hôpital de l’arrière. Le chef de bataillon Edmond Laflotte (25/10/1914), du 155e RI, est ainsi mort à l’hôpital 228 de Paris. Deux de nos anciens élèves sont décédés non pas d’une blessure reçue au combat ou d’une maladie contractée au front mais suite à un accident. Jean Marie Rohmer (8/04/1917) a par exemple été accidenté à Etampes dans l’Essonne.

Les noms de lieu sont quelques fois obscurs mais certains sont très connus du grand public. Six anciens élèves sont ainsi tombés aux Eparges, six au bois de la Gruerie en Argonne, quatre à Fleury-devant-Douaumont, trois à la tranchée de Souain (Marne), un au bois des Caures, un autre à Vauquois et même un à Bouchavesnes (Somme), la bataille qui est racontée dans Un long dimanche de fiançailles.


Conclusion.
Après la mort du soldat, la famille est bien sûr informée, même en cas de disparition. Mais il faut parfois attendre des mois voire des années avant qu’un acte officiel ne soit rédigé, sous la forme d’un jugement du tribunal ou à l’occasion de la transcription de l’acte de décès dans les registres de sa commune de naissance ou de résidence. La comparaison de la chronologie des décès avec celle des transcriptions révèle même un décalage important. Le caporal Robert Allezot, né à Bar-le-Duc en 1890 (la même année que le général de Gaulle) a ainsi été tué à l’ennemi le 25 mars 1915 au terrible bois de la Gruerie. Et pourtant son acte de décès n’est officiellement transcris à Bar-le-Duc que dix ans plus tard suite à un jugement du 19 Mai 1925.


Chronologie de la transcription des actes de décès dans les communes de résidence


Année
Décès
Transcription de l’acte
1914
46
5
1915
38
25
1916
31
20
1917
10
24
1918
20
11
1919
2
17
1920
1
16
1921

11
1925

1
Total
148
130

Les anciens élèves du lycée devenu Poincaré et leurs professeurs tombés au feu passent progressivement du domaine de l’Histoire à celle de la Mémoire. Un certain nombre d’entre eux, Jean-Marie de Caluwe, par exemple étant décoré à titre posthume, qui de la Croix de Guerre, qui de la Légion d’Honneur. Pierre Ménétrier venait quant-à lui à peine d’être cité pour avoir réussi à ramener l’avion alors que son pilote avait été grièvement blessé…








 

Annexes.

Les dates de décès des anciens élèves et des personnels du lycée de Bar-le-Duc

morts pour la France entre 1914 et 1919


1914
1915
1916
1917
1918
1919-1920
12 août 1914
20 janvier 1915
19 février 1916
3 avril 1917
10 avril 1918
1 avril 1919
20 août 1914
29 janvier 1915
21 février 1916
8 avril 1917
16 avril 1918
3 septembre 1919
22 août 1914
4 février 1915
28 février 1916
16 avril 1917
19 avril 1918
25 mars 1920
22 août 1914
12 février 1915
12 mars 1916
24 avril 1917
30 avril 1918

22 août 1914
1 mars 1915
16 mars 1916
25 avril 1917
19 mai 1918

22 août 1914
3 mars 1915
16 mars 1916
22 mai 1917
4 juin 1918

22 août 1914
11 mars 1915
6 avril 1916
20 juillet 1917
11 juin 1918

24 août 1914
15 mars 1915
9 avril 1916
2 août 1917
23 juin 1918

24 août 1914
17 mars 1915
22 avril 1916
21 août 1917
13 juillet 1918

25 août 1914
18 mars 1915
29 avril 1916
5 septembre 1917
18 juillet 1918

27 août 1914
17 avril 1915
7 mai 1916

21 juillet 1918

28 août 1914
23 avril 1915
26 mai 1916

30 août 1918

29 août 1914
25 avril 1915
3 juin 1916

6 septembre 1918

31 août 1914
26 avril 1915
8 juin 1916

6 septembre 1918

1 septembre 1914
14 mai 1915
Blessé le 14 juin 1916

2 octobre 1918

2 septembre 1914
30 mai 1915
27 juin 1916

18 octobre 1918

3 septembre 1914
5 juin 1915
15 juillet 1916

20 octobre 1918

6 septembre 1914
5 juin 1915
20 juillet 1916

30 octobre 1918

6 septembre 1914
12 juin 1915
13 août 1916

1 novembre 1918

6 septembre 1914
20 juin 1915
24 septembre 1916

11 novembre 1918

6 septembre 1914
20 juin 1915
25 septembre 1916



6 au 30 septembre 1914
29 juin 1915
25 septembre 1916



10 septembre 1914
6 juillet 1915
27 septembre 1916



10 septembre 1914
15 juillet 1915
12 octobre 1916



11 septembre 1914
22 juillet 1915
13 octobre 1916



14 septembre 1914
25 septembre 1915
14 octobre 1916



16 septembre 1914
25 septembre 1915
21 octobre 1916



18 septembre 1914
26 septembre 1915
22 octobre 1916



20 septembre 1914
27 septembre 1915
4 novembre 1916



21 septembre 1914
28 septembre 1915
13 décembre 1916



22 septembre 1914
28 septembre 1915
24 décembre 1916



22 septembre 1914
2 octobre 1915




3 octobre 1914
4 octobre 1915




8 octobre 1914
5 octobre 1915




25 octobre 1914
6 octobre 1915




31 octobre 1914
6 octobre 1915




2 novembre 1914
5 novembre 1915




5 novembre 1914
23 novembre 1915




12 novembre 1914





16 novembre 1914





17 novembre 1914





21 novembre 1914





27 novembre 1914





17 décembre 1914





27 décembre 1914





31 décembre 1914

















Extraits des carnets du lieutenant Pierre Ménétrier.





Bar le Duc le 27 Juillet 1914

« Admissible

J'entends encore ce mot qui me réveilla le 27 Juillet. Pourquoi me semble-t-il qu'il doit jouer un grand rôle dans ma vie ? Est-ce parce que dans la douceur du sommeil il me parut for mal à propos ? Est-ce parce qu’au fond de moi-même il était un peu contraire à mon espoir ? Toujours est-il que j'accueillis cette nouvelle sans manifester une joie trop grande, au grand désespoir de mon père. Admissible! me répétait-il en me montrant une carte où le proviseur m'apprenait cette grande nouvelle: Admissible! cela ne te plaît donc pas? Vraiment je me le demandais. Après avoir passé mon bachot, sans trop de travail il faut l'avouer, je croyais avoir droit, grâce à la mention << assez bien>> à quelque repos. Les vacances ayant commencé le 14 Juillet j'espérais bien en profiter pendant trois longs mois; cette chose était faite pour me plaire car pour mon malheur je suis né fatigué et je m'étais, depuis une semaine déjà bien entrainé à cette vie de tout repos, cette vie de paradis que j'aurais voulu continuer le plus longtemps possible. Et puis tout d'un coup: un mot magique vient me faire rentrer dans mon cocon, vient me replonger dans des bouquins, me remettre devant des tableaux noirs avec pour perspective de sombres galeries ou des fenêtres grillagées. Vraiment, ce mot je ne peux guère le bénir. Et je le peux d'autant moins que c'est presque malgré moi que j'ai passé cet examen de Saint Cyr, cette année du moins. N'étant pas encore au cours préparatoire je comptais passer encore un an au lycée, et peut-être faire mes spéciales, ainsi que me le recommandaient quelques uns de mes professeurs. Mais mon père étant porté vers Saint Cyr, je ne parlais pas d'autre chose et me voyant tourné mes efforts de ce côté mon professeur de physique, Monsieur Cotty, qui me jugeant assez fort engagea le proviseur à m'y pousser cette année. Je n'aurais guère pu refuser et je passais l'examen le 8 Juin, espérant bien (car j'avais peu de confiance en mon travail) passer à côté. Et puis tout d'un coup, une lettre de mon proviseur vient chasser mes rêves. Ce n'est pas assez sans doute, car pour m'accabler plus encore, cette lettre m'apprend que pour préparer l'oral des cours sont faits par Monsieur Vacou, notre professeur de mathématiques, jusqu'au 8 Août. Puisque je vais être militaire, il faut prendre une décision. Elle est rapide. Le lendemain de la réception de cette fameuse carte, j'arrivais déjà ici, où malgré quelques camarades, malgré les cours, la gymnastique et les sorties, je m'ennuie déjà beaucoup bien qu'arrivé seulement d'hier. Je ne me plains pas cependant malgré le beau temps qui doit se rire de moi me voyant par ce beau soleil enfermé dans une salle surchauffée où le travail n'est guère agréable. Je n'en ai jamais été un grand ami, mais maintenant il me fait plus peur que jamais. On ne m'en demande guère pourtant. Le matin notre professeur ne nous prend que 2 heures et nous donne peu de travail. Mais c'est trop encore par cette chaleur. Je suis seul pensionnaire et je suis ainsi assez libre; je sors un peu, je fais de la gymnastique, mais cela n'occupe pas une journée. Aussi je lis, mais lire toujours c'est bien monotone. Une idée que j'ai déjà eue autrefois et que me rappelle une œuvre de Loti << les désenchantés >> me revient à l'esprit. Je vais faire mon journal. C'est bien entendu. Mais que vais-je pouvoir y raconter dans ma vie monotone. Qui sait il me semble que d'ici peu je vais pouvoir le remplir. Pourquoi ce pressentiment? Sans doute le changement brusque qui vient de se produire dans ma vie ou plutôt dans mes espérances. Sans doute aussi le rapprochement d'un fait du même genre qui a déjà bouleversé ma vie. C'était à mon certificat d'études, assez fort je fus remarqué à l'examen de Français par le proviseur du lycée de Bar qui me demanda si je ne pensais pas rentrer au lycée. Je lui réponds que je dois être enfant de troupe et c'est la vérité. Mais comme il tenait à m'avoir, il décide mes parents à me laisser pousser mes études. Après un premier examen j'entre au lycée, mais n'obtiens quelque chose que l'année suivante. Mais c'est fait mon destin a été changé complètement. Et maintenant c'est presque le même coup de théâtre. Je sais que je vais vivre maintenant, faire quelque chose. Les idées vont venir. Eh bien va pour le journal. »



Pont Faverger le 5 Août 1914
« Une fois de plus je ne me trompais pas. Cette fois je vais pouvoir remplir les pages de mon journal. L'événement que je pressentais est plus grave que je n'aurais osé le supposer. C'est la guerre attendue si longtemps par tous les officiers, par tous nos anciens, pour la revanche, pour la délivrance. En attendant pour moi qui dois aussi me faire à ces principes c'est d'abord la délivrance du bahut que je quitte plus vite que je ne le pensais. Cet événement est arrivé d'une façon si inattendue qu'il a surpris presque tout le monde. C'est un véritable coup de théâtre lorsque les journaux (qui publiaient en toute quiétude les débats de la trop célèbre affaire Caillaux- Calemet ) rappellent au monde les difficultés politiques en lançant le 26 Juillet une dépêche de 4 lignes seulement, mais une grande nouvelle. C'est ainsi que l'on apprend l'ultimatum de l'Autriche à la Serbie. Quelles vont-être les conséquences de cet acte? Déjà nos troupes s'agitent pour répondre aux mouvements de celles de la triplice, de la duplice plutôt car l'Italie garde un silence prudent. C'est une simple mesure de prudence d'abord, et le 29 se produit une détente. Mais le 30 la situation s'aggrave; la population s'affole, car le 31 on ne donne plus d'argent à la banque Varin. Aussitôt la Caisse d'Epargne est prise d'assaut, les magasins sont envahis et doivent fermer leurs portes; le sel augmente tout d'un coup. On fait une mobilisation partielle. Le 94ème rentre ainsi que tous les corps (infanterie et artillerie) de l'Est qui étaient au camp de Chalons. Jour et nuit des trains de soldats passent au milieu de l'enthousiasme général, de l'espoir de chacun. Partout c'est une fièvre extraordinaire. Le lycée aussi s'en ressent. Nous ne pouvons rien faire attendant avec anxiété les nouvelles espérant la guerre, désespérés quand elles sont bonnes. Maner est fou de joie, et fait déjà des projets d'engagement. Mais vraiment je ne puis rester à Bar dans de telles conditions. Le 1 er Août je rentre à Pont Faverger non sans mal. Je quitte Bar à 9 heures au moment où le 94ème s'embarque, le quai grouille de réservistes rejoignant leur corps, de civils se retirant de Nancy à l'arrière. Aussi il faut attendre un moment pour partir. Enfin c'est fait; je vois fuir derrière moi, Bar, le lycée auquel je dis adieu. Je vois encore mon prof de philo Monsieur Micault en sergent de la territoriale, qui place des sentinelles sur la voie vers Paris. Cette fois c'est fini. Quand vais-je revoir tout cela? Que d'événements vont se passer avant de revenir, s'y j'y reviens jamais pendant la guerre. Le train roule en attendant avec une lenteur désespérante s'arrêtant partout, et manquant les correspondances. A Revigny où je vois passer des troupes venant de Reims, des polytechniciens, je dois attendre le train que je prenais autrefois à Bar à 13 heures. Je mange d'un peu de pain et enfin je pars. Jusqu'à Challerange c'est toujours la même lenteur désespérante. A chaque gare nous demandons des nouvelles. Nous attendons le signal, il nous sembla entendre le tocsin; en passant devant une gare, quelqu'un demandant si on sait quelque chose la réponse nous arrive brutale bien qu'elle fut attendue: << la guerre est déclarée >> . Malgré tout, l'effet de ces paroles se fait sentir; à Challerange heureusement j'arrive pour manquer le train de 17 heures, nous apprenons que la nouvelle n'est pas tout à fait exacte. La guerre n'est pas déclarée, mais à 16 h 30 est arrivé l'ordre de mobilisation générale. Cette fois il y a peu de chance d'échapper. La triple entente fait des propositions de paix que l'Allemagne repousse, en déclarant hypocritement qu'elle ne veut pas la guerre. Mais après 4 jours, devant son mauvais vouloir, on voit bien qu'il n'y a rien à faire. L'Allemagne nous déclare la guerre le 4 Août.3




2 Mai 1918
« Mon cher Geo


Il faut que je vienne un peu te donner des détails sur l'histoire dont je te parlais hier. Aujourd'hui ça va mieux. Je suis encore bien courbaturé et j'ai la jambe droite un peu folle, mais comme toujours << tout va bien >>.

Il est vrai que ça a manqué aller bien mal, mais j'ai eu naturellement une chance miraculeuse, la plus belle certainement que j'ai jamais eue. Donc hier matin, m'ennuyant pour n'avoir volé depuis quelque temps j'avais demandé à aller mitrailler les boches, travail intéressant puisqu'il n'était pas commandé et je cherchais dans les pilotes un volontaire pour venir avec moi. Malheureusement le capitaine s'est offert tout de suite ce qui ne me rassurait guère car c'était un casse-cou mais très veinard, mais j'aurais préféré un autre. Je suis donc parti avec lui. Nous avons commencé par des acrobaties (au-dessus du terrain et très bas) à nous tuer dix fois pour une. Enfin tout se passe sans mal nous partons aux lignes assez bas à 200 m. Je tire sur des villages boches mais le capitaine se trouve trop haut et descend à 100 m sur le mont R.... Je tire encore, il me fait cesser le feu, alors commence la grande danse. Nous descendons à 50 m parfois moins! pour voir nos fantassins, voir où sont les boches, leurs installations car une attaque ayant eu lieu la nuit on ne savait guère ce qui s'était passé. Quel orchestre! Toutes les mitrailleuses boches nous en voulaient nous avons pris quelques balles dans l'appareil mais rien. Le capitaine continuait à tourner revenant dix fois au même endroit malgré le tir pendant plus d'une 1/2 heure. Tout d'un coup (nous étions sans doute bien placés pour les tireurs boches) la violence du tir redouble j'étais dans une vrai gerbe de plusieurs mitrailleuses. Nous recevons une dégelée de balles. J'entends les coups claquer surtout vers le capitaine et plus fort vers moi. Je regarde immédiatement le réservoir. L'essence fuit, nous brûlons. Je me retourne pour prévenir le capitaine et je le vois le crâne éclaté ayant laché le volant et accroupi dans la carlingue. J'ai bien cru jamais pouvoir raconter cela. Par bonheur l'appareil montait un peu à ce moment au lieu de rentrer à 150 à l'heure dans le sol. Alors comme j'avais une chance de me sauver j'ai eu toutes les énergies pour la tenter. Je suis passé entre l'aile et le fuselage pour saisir le volant ( à 2 m de moi ). Je croyais que c'était impossible mais dans un pareil cas on est capable de tout et le feu sous le ventre ma tête sur celle ensanglantée du pilote j'ai réussi tant bien que mal à ramener l'appareil à 3 kms à l'arrière ( de peur de rester chez les boches ) et à atterrir ou plutôt à toucher dans un bois où je me suis retrouvé un peu après, debout et l'appareil brûlant complètement. J'étais heureusement à 20 m d'un observatoire d'une batterie où l'on m'a lavé ( j'avais du sang sur moi ) et remis un peu d'aplomb car j'étais énervé. On est venu me chercher en même temps que le corps du capitaine et rentré ici à 17 h je me suis couché. Réveillé ce matin soigné massé par notre docteur ( un ancien du 97 ème ) je suis très bien sauf la fatigue évidemment. Je suis prêt à recommencer mais pas trop tôt quand même car je vais me reposer un peu. Surtout ne dit rien à Sézanne, maman me croit en sureté parce que je vole peu. C'est vrai mais une fois suffit. Donc ne dit rien du tout.... du tout.... du tout! Au revoir mon vieux Geo dis-moi quand tu seras ????? Je pense te voir encore prochainement. »



 

Frédéric Schwindt,
Professeur agrégé, docteur en Histoire,


Chercheur associé au CRULH (Université de Lorraine – Nancy)

FSchwindt@ac-nancy-metz.fr