jeudi 3 octobre 2013

L'Allemagne, un pays qui va mal !

 
La réélection triomphale d’Angela Merkel va contribuer à renforcer le mythe allemand ; un mythe qui comme tous les mythes a peut-être quelques fondements réels mais est avant tout… un mythe. Toute la politique conduit depuis deux mandats par la chancelière visait d’ailleurs plus à faire perdurer ce mythe qu’à agir en profondeur sur les problèmes de l’Allemagne.

Les commentateurs se contentent le plus souvent de reprendre les informations qui circulent (incompétence, fainéantise…) sans même les vérifier. Combien ont habité ne serait-ce que quelques semaines récemment Outre-Rhin et constaté par eux-mêmes ce qu’ils écrivent ?

Quels sont les éléments de ce mythe dont on veut aujourd’hui nous faire un modèle ?

L’Allemagne est un pays prospère, en tout cas un pays qui a traversé la crise bien mieux que les états laxistes du sud de l’Europe, et ceci pour toute une série de raisons structurelles et culturelles. Citons dans le désordre :

La règle d’or budgétaire que Mme Merkel a constitutionnalisé
L’équilibre des comptes publics.
La cogestion et donc le dialogue social entre syndicats et patrons (des syndicats réformistes qui contrairement aux syndicats révolutionnaires français acceptent les réformes difficiles du marché de l’emploi et des retraites. Vive Gerhardt Schroeder).
Un système scolaire qui accepte la sélection précoce et l’apprentissage.
Une industrie dynamique appuyée sur des agents au très haut niveau de qualification et donc une productivité hors pair.
Une université et une recherche dynamique que d’ailleurs Mme Merkel a dynamisées en les réformant.
Des infrastructures modernes et performantes (ah ! les autoroutes allemandes…)
 
Examinons point par point la réalité de ces arguments. Certes, la chancelière avec l’aide du SPD (Peer Steinbrück a été son ministre des finances) a équilibré les comptes en menant une sévère politique d’ajustement structurel. La dette de l’Allemagne est maîtrisée. Sauf que la comparaison sur ce point avec les autres pays de l’UE, et notamment avec la France, oublie un élément pourtant majeur : l’Allemagne est un Etat fédéral où une grande part des dépenses (la police, l’éducation par exemple) repose sur les régions. C’est là où le déficit se cache. Or, la plus grande part des Länder se trouve en très grande difficulté budgétaire et pas simplement dans l’Est du pays. La région la plus riche, le Bade-Wurtemberg, était il y a un an quasiment en cessation de paiement. Il y a eu également un débat en Allemagne sur l’opportunité de mettre le Land de Sarre sous tutelle voire de le dissoudre purement et simplement. Les agences de notation qui encensent l’Allemagne ont dans le même temps dégradé plusieurs fois la note des Länder. Ceux-ci en sont réduits à faire des coupes sombres dans l’investissement et dans le domaine de l’éducation.

Ainsi, ce qui remet pas mal en cause la confiance que l’on peut avoir dans les infrastructures, les dépenses allemandes dans ce domaine sont inférieures depuis 10 ans au simple coût du renouvellement. Il n’y a qu’à emprunter les autoroutes pour s’en rendre compte, les travaux s’éternisent car il n’y a pas d’argent pour les terminer. La raison principale (en dehors de l’opportunité politique au moment de Fukushima de couper l’herbe sous le pied aux Grünen) de l’abandon du nucléaire en Allemagne n’a d’ailleurs rien à voir avec l’écologie (sinon pourquoi relancer les vieilles centrales au lignite ?) C’est le coût à venir des installations nucléaires (et la facilité d’acheter le l’électricité chez les voisins) qui a décidé la chancelière. D’ailleurs, et les écologistes allemands (pas les français bizarrement) s’en plaignent amèrement, la transition énergétique n’y est pas du tout financée… En un mot, les infrastructures allemandes vieillissent et elles vieillissent vite, un élément qui conduit les entreprises et même des PME à réfléchir à délocaliser. Leur productivité a d’ailleurs cessé de progresser depuis déjà plusieurs années !

Elles y sont d’ailleurs poussées par d’autres facteurs. Lors des élections de dimanche, la moitié des électeurs avait dépassé l’âge de 50 ans ; record d’Europe ! L’Allemagne va même perdre 15 millions d’habitants dans la génération à venir. Les entreprises n’arrivent pas à recruter et à renouveler leur main d’œuvre. Pire, le célèbre système allemand de l’apprentissage, qui assurait un flux régulier vers les entreprises, est en train d’exploser. D’abord parce qu’il n’y a plus de jeunes à former. Ensuite parce que ceux qui restent (et leurs parents) ne veulent surtout pas se destiner vers ces filières. Les entreprises y trouvent aussi leur compte (au sens premier du mot) parce que, réduction des coûts oblige, elles ne veulent plus former leurs employés. Enfin, du fait des coupes massives dans les dépenses d’éducation, les Länder sont en train d’inventer… le collège et le lycée unique. Pour simplifier, suppression de l’orientation précoce vers l’apprentissage et des Haupschule, fusion des Realschule et des Gymnasium. En un mot, tous les élèves au lycée, des dizaines d’établissement qui ferment et des milliers de professeurs au chômage ! Et oui, l’élévation théorique du niveau de formation et l’unification du réseau ne sont pas toujours synonymes d’une réelle élévation du niveau. C’est parfois (c’est exactement ce qui se passe depuis 20 ans en France et dans ce domaine les deux pays sont jumeaux) juste le symptôme des économies d’échelle réalisées. Bizarrement, plus les Länder ont de difficultés financières, plus la réforme avance vite ! Tout aussi amusant (si on la compare à ce qui est en train de se faire en France) mais aussi tout aussi symptomatique est la réforme de l’emploi du temps des élèves. Les écoles allemandes sont en train d’adopter la semaine française et les cours l’après-midi. En effet, le temps dévolu à la culture, à la musique ou au sport après 13H00 n’a plus lieu d’être, les parents et les collectivités locales n’ont plus les moyens de les financer… De la même manière, le raccourcissement des études secondaires de 9 à 8 ans vise ouvertement (comme dans les lycées professionnels français ou le bac pro a perdu 1 an) à économiser un an de dépenses…

Des Allemands trop vieux, pas de jeunes pour les remplacer, la solution en termes de d’emplois pourrait être l’immigration. Mais justement, celle-ci est en berne, la plupart des immigrants ne restant que quelques années et étant encouragés à ne pas chercher à s’installer. Il ne faudrait pas sous-estimer le mouvement de xénophobie qui traverse actuellement l’Allemagne et qui ne concerne pas que le Proche Orient ou l’Afrique mais plutôt et surtout le sud de l’Europe. Il n’y a qu’à voir le succès des thèses, venues en particulier de Suisse alémanique, qui prophétisent une invasion à moyen terme de l’Europe du Nord (rigoureuse, industrieuse, protestante…) par des hordes sauvages venues de Grèce, d’Espagne ou du Portugal voire de France… Très sérieusement, l’armée suisse effectue des exercices d’Etat Major sur ce thème et est en train de mettre sur pied des bataillons d’infanterie professionnels afin de protéger ses frontières.

Il ne fait pas oublier qu’une des plus grandes peurs actuelles des Allemands concerne la retraite. Malgré l’allongement des durées de cotisation et le report de l’âge du départ à la retraite à 67 ans et au-delà, les Allemands savent que cela ne suffira pas pour des raisons purement démographiques. La part plus faible qu’en France de la retraite par répartition est bien mal en point. Mais la part par capitalisation est tout autant affectée car, pour compenser, elle s’est engagée dans une fuite en avant spéculative dont elle n’arrive pas à sortir. Or, la multiplication des micro-jobs, des emplois à 500 euros par mois ou à 1,5 euro l’heure, sans protection sociale et sans cotisations retraites, fait que de plus en plus d’Allemands n’auront tout simplement par de retraite ou des retraites bien inférieures au seuil de pauvreté. Il s’agit de millions de personnes. Beaucoup d’Allemands se demandent donc aujourd’hui si leurs retraites ne seront pas ponctionnées au profit des travailleurs pauvres. D’où aussi le refus de l’immigration. En effet, alors que l’immigration permettrait de débloquer le marché de l’emploi avec des personnes jeunes capables de surcroît de cotiser et de payer les retraites des Allemands, ceux-ci sont persuadés du contraire… c’est-à-dire que les migrants vont leur « piquer » leurs retraites. Promenez-vous dans Berlin, une ville pourtant plus pauvre que la moyenne des cités allemandes ; vous ne verrez aucun « Rom ». Mais où sont-ils ?

La réunification, les réformes Schroeder, la politique d’austérité d’Angela Merkel plus la crise ont considérablement accentué les inégalités en Allemagne. Il n’y a qu’à se promener dans les quartiers périphériques de Berlin ou de Francfort ou même dans n’importe qu’elle ville moyenne pour s’en convaincre. Tout une partie de la société allemande est en voie de paupérisation, ce qui conduit mécaniquement à renforcer tous les autres facteurs mentionnés plus haut. Par exemple, des parents de la classe moyenne qui se voient s’appauvrir ne veulent surtout pas que leurs enfants partent en apprentissage, surtout si c’est pour obtenir un job à 500 euros, ils préfèrent profiter de la fenêtre qui s’ouvre en direction du lycée unique.

Mais justement, et c’est là où le système se bloque, le développement du lycée unique ne se double pas d’un accès accru à l’enseignement supérieur. Ces possibilités tendent même à se réduire suite à la réforme « libérale » de l’université et de la recherche. La mise en concurrence des universités ou les restrictions de budget (l’autonomie comme en France est juste un prétexte pour réduire les financements publics) ont conduit en deux ou trois ans à un déclassement surprenant de plusieurs universités prestigieuses. Le KIT (Karlsruhe Institut of Technology), un des fleurons du Bade-Wurtemberg, a ainsi perdu son statut d’université d’élite. La recherche elle-même est en crise, faute de budgets suffisants notamment dans le domaine de la recherche fondamentale.

Enfin, le mythe du dialogue social, base de l’économie sociale de marché mise en place dans les années 1950 par Konrad Adenauer et Ludwig Erhard, a vécu. D’abord la cogestion n’a jamais concerné toutes les entreprises allemandes. Mais surtout les réformes Schroeder (comme les 35 heures en France) ont sonné le glas du dialogue entre les syndicats et le patronat.

Un vieillissement des infrastructures, une productivité en Berne, des difficultés de recrutement croissantes, la crise de l’université, le refus de l’immigration voire ponctuellement un désir de remettre en cause la venue des frontaliers, l’Allemagne se retrouve dans cette situation paradoxale que ses entreprises envisagent aujourd’hui de plus en plus la délocalisation comme une solution. Mais surtout, un certain nombre de thèmes sont de véritables bombes même si la politique financière d’Angela Merkel a permis un temps de les masquer.

Or, l’Allemagne est en train de se mettre tout une partie de l’Europe à dos. Elle a oublié qu’il s’agissait de son marché. Ce n’est pas en Asie que la République Fédérale réalise le plus d’affaires mais en Europe ; c’est là que se trouve la majorité de ses partenaires. Ne parlons pas de ses sous-traitants en Espagne ou au Portugal… En effet une des principales raisons de la « deutsch qualitat » est que l’industrie allemande a moins fait appel que d’autres à la sous-traitance asiatique, préférant localiser voire relocaliser ses sous-traitants en Europe. C’est notamment flagrant pour l’automobile. La politique d’assèchement conduite dans ses pays est en train de mettre à mal les industries nationales et par voie de conséquence de fragiliser les circuits de production allemands.

Et puis lorsque les bombes allemandes vont exploser, que toutes les contradictions de la République Fédérale vont pousser ce pays dans une crise profonde, qui acceptera de lui tendre la main ? Le Luxembourg ?

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