Karl
Marlantes, Retour à Matterhorn, Traduction
(Anglais – Américain) de Suzy Borello, Calmann-Lévy,
Paris, 2012, 22,90 € (Titre original : Matterhorn).
Ces
trente dernières années, les films sur la guerre du Vietnam ont fait flores - on pense à « L’enfer du devoir », la série télévisée américaine des années
1980 qui avait repris pour générique le « Painting Black » des Stones - mais peu ont montré comme
Full Metal Jacket de Stanley Kubrick
le quotidien et le ressenti des
simples soldats. On attendait cependant encore « le » roman définitif
sur cette guerre, le roman qui allait, mieux que les récits historiques et les
témoignages, toucher au plus loin le réel de cette guerre. Philip Caputo, Tim O'Brien, Michael
Herr et Gustav Hasford s’y sont essayés avec talent. Karl Marlantes nous
propose quant à lui l’œuvre d’une vie car le premier jet (presque 1600 pages) du
roman publié l’an dernier aux Etats-Unis remonte à 1977. C’est l’histoire banale d’une
compagnie qui prend une colline (Matterhorn) qu’elle est ensuite obligé
d’abandonner et … de reprendre par ordre du commandement. La patrouille est
prétexte à découvrir une Amérique des sixties finissantes, celle des blancs et celle
du Black Power, mais vue depuis les profondeurs de la jungle tropicale. C’est
aussi une œuvre de rédemption contre le stress post-traumatique. L’épopée du sous-lieutenant Mellas ressemble en effet beaucoup
à celle du lieutenant des marines Karl Marlantes qui a effectivement servi au
Vietnam en 1969 (comment ne pas penser à la 317e section de Pierre Schoendoerffer). L’auteur trouve le
ton juste. Il rend hommage à l’abnégation du soldat, décrit ses souffrances
inouïes, alors que le commandement croit avoir affaire à des tire-aux-flancs,
mais évite le piège de la grandiloquence. Il rappelle que le quotidien est
d’abord constitué par l’ennui, l’attente, les jours identiques qui défilent
dans une géographie elle-même inchangée. Ce soldat n’a d’ailleurs pas beaucoup
changé depuis 1916 ; les mêmes blessures, les mêmes privations, les mêmes
… pieds de tranchée ! En remontant le temps, ce roman hisse son auteur au
niveau du Norman Mailer des « Nus et
des morts » (1947) ou de Erich-Maria Remarque à l’époque de « A l’ouest, rien de nouveau » (1928).
Les trois auteurs ont combattu en premières lignes mais seul Marlantes a
commandé une unité. Comme lui, Mellas est un petit blanc qui a effectué de
belles études à Yale grâce à une bourse des marines et qui anticipe l’appel en
se portant volontaire pour le Vietnam. On découvre d’ailleurs que l’armée
américaine manquait d’officiers réguliers (de carrière) et qu’elle a puisé
largement dans le vivier des réservistes pour tenir les unités de première
ligne comme chef de section et même comme commandant de compagnie ; les
pertes en sous-lieutenant et en lieutenant assurant un avancement rapide au
feu ! Un livre qui confirme que la force des armées réside essentiellement
dans … ses sous-officiers et qui devrait être lu par tous les jeunes officiers,
en tout cas par tous ceux qui ambitionnent de commander une section ou une
compagnie et qui se retrouveront un jour à devoir les conduire au feu.
Frédéric Schwindt
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