dimanche 24 mars 2013

Le roman sur la guerre du Vietnam


Karl Marlantes, Retour à Matterhorn, Traduction (Anglais – Américain) de Suzy Borello,  Calmann-Lévy, Paris, 2012, 22,90 € (Titre original : Matterhorn).


 
Ces trente dernières années, les films sur la guerre du Vietnam ont fait flores - on pense à « L’enfer du devoir », la série télévisée américaine des années 1980 qui avait repris pour générique le « Painting Black » des Stones - mais peu ont montré comme Full Metal Jacket de Stanley Kubrick le quotidien et le ressenti des simples soldats. On attendait cependant encore « le » roman définitif sur cette guerre, le roman qui allait, mieux que les récits historiques et les témoignages, toucher au plus loin le réel de cette guerre. Philip Caputo, Tim O'Brien, Michael Herr et Gustav Hasford s’y sont essayés avec talent. Karl Marlantes nous propose quant à lui l’œuvre d’une vie car le premier jet (presque 1600 pages) du roman publié l’an dernier aux Etats-Unis  remonte à 1977. C’est l’histoire banale d’une compagnie qui prend une colline (Matterhorn) qu’elle est ensuite obligé d’abandonner et … de reprendre par ordre du commandement. La patrouille est prétexte à découvrir une Amérique des sixties finissantes, celle des blancs et celle du Black Power, mais vue depuis les profondeurs de la jungle tropicale. C’est aussi une œuvre de rédemption contre le stress post-traumatique. L’épopée du sous-lieutenant Mellas ressemble en effet beaucoup à celle du lieutenant des marines Karl Marlantes qui a effectivement servi au Vietnam en 1969 (comment ne pas penser à la 317e section de Pierre Schoendoerffer). L’auteur trouve le ton juste. Il rend hommage à l’abnégation du soldat, décrit ses souffrances inouïes, alors que le commandement croit avoir affaire à des tire-aux-flancs, mais évite le piège de la grandiloquence. Il rappelle que le quotidien est d’abord constitué par l’ennui, l’attente, les jours identiques qui défilent dans une géographie elle-même inchangée. Ce soldat n’a d’ailleurs pas beaucoup changé depuis 1916 ; les mêmes blessures, les mêmes privations, les mêmes … pieds de tranchée ! En remontant le temps, ce roman hisse son auteur au niveau du Norman Mailer des « Nus et des morts » (1947) ou de Erich-Maria Remarque à l’époque de « A l’ouest, rien de nouveau » (1928). Les trois auteurs ont combattu en premières lignes mais seul Marlantes a commandé une unité. Comme lui, Mellas est un petit blanc qui a effectué de belles études à Yale grâce à une bourse des marines et qui anticipe l’appel en se portant volontaire pour le Vietnam. On découvre d’ailleurs que l’armée américaine manquait d’officiers réguliers (de carrière) et qu’elle a puisé largement dans le vivier des réservistes pour tenir les unités de première ligne comme chef de section et même comme commandant de compagnie ; les pertes en sous-lieutenant et en lieutenant assurant un avancement rapide au feu ! Un livre qui confirme que la force des armées réside essentiellement dans … ses sous-officiers et qui devrait être lu par tous les jeunes officiers, en tout cas par tous ceux qui ambitionnent de commander une section ou une compagnie et qui se retrouveront un jour à devoir les conduire au feu.

Frédéric Schwindt

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