jeudi 7 janvier 2010

Philippe Séguin venait de donner une préface aux "Bastions de l'Est"

« Le Général de Gaulle et les bastions de l'Est »
par Philippe SEGUIN

Préface à Alain LARCAN & Frédéric SCHWINDT (dir.), Les Bastions de l'Est de Boulanger à De Gaulle, à paraître chez Gérard Louis, 2010.

Pour un homme né en Tunisie et qui fit de la Lorraine la terre de ses premiers engagements politiques, préfacer ce bel ensemble d'études sur « les bastions de l'Est » est une tâche ardue, mais exaltante. Mais après tout, Maurice Barrès, qui popularisa l'expression dans sa célèbre série romanesque d'avant 1914, n'était lorrain qu'à moitié et adhérait à bien plus qu'un terroir ; il donnait, avant toute chose, son adhésion à une histoire et à un esprit, comme il l'écrivait au début de Colette Baudoche à propos des « gens de Metz » : « de vieux civilisés, modérés, nuancés, jaloux de cacher leur puissances d'enthousiasme ».

L'Histoire est le premier objet de cet ouvrage. Et cette histoire est faite d'épreuves inouïes et de très grandes manifestations de courage, dont les Lorrains, comme j'ai souvent eu l'occasion de le constater, portent le souvenir dans leur chair et dans leur âme. Car dans ce mot de « bastion », il y a plusieurs époques guerrières, il y a cette dimension défensive, militaire, fortement patriotique, cette empreinte profonde de la guerre, de l'occupation et de leurs souffrances... Et pourtant, il suffit de connaître un peu la Lorraine et les Lorrains, qu'ils soient de Metz, Nancy, EpinaI ou d'ailleurs, pour en mesurer la charge affective et presque intemporelle. Les bastions de l'Est symbolisent l'attachement d'un peuple éprouvé à sa terre natale, avant-poste d'une nation, d'une communauté humaine où il veut inscrire farouchement son destin. La démocratie, la liberté, la capacité de construire, ensemble, un avenir commun ne peuvent vivre sans un sentiment d'appartenance forte.

Aussi avons-nous les Lorrains de souche et les Lorrains de cœur. Les personnalités évoquées dans ces pages sont diverses, elles ne sont pas toutes lorraines ni de la même envergure, leurs idées ont souvent été bien différentes ou même divergentes. Mais elles ont toutes en commun d'avoir compris ceci : ces bastions de l'Est, ce sont les nôtres, ce sont ceux de la France toute entière. Ce sont les bastions d'une France à la fois réelle et rêvée, qui n'est pas arc-boutée sur la seule défense de son territoire, mais est portée aussi par la volonté de défendre et propager ses valeurs. Au temps jadis, nos ennemis ont pu être allemands : ceci est daté, mais glorieux et porte tous les enjeux de la mémoire. Ce qui est sans âge, en revanche, et toujours d'une actualité brûlante, c'est la tentation du renoncement. Du renoncement à soi­ même, à ce qu'on a été, à ce qu'on est, à ce qu'on voudrait être. Comment s'étonner, dès lors, que le général de Gaulle, ce Français si enraciné et pourtant si universel, se trouve au cœur des travaux ici réunis ? Il manquait un « prince lorrain » à Albert Thibaudet dans son magnifique ouvrage de 1924. Gageons que le général, cet homme du Nord et du monde entier, habité par l'Histoire et ses leçons de volonté, qui scella la réconciliation franco-allemande sur les bastions de l'Est, avait compris le vrai sens de ce qui était en jeu. Nos vrais bastions ne sont autres que la conscience et la fierté de ce que nous sommes, la pleine possession de notre histoire, la pleine compréhension de notre présent, la pleine confiance dans notre avenir. Notre pire ennemi, c'est nous-mêmes et l'éternelle tentation de la faiblesse et du compromis.

C'est tout le sens de la politique, la vraie, et ce n'est pas le moindre mérite de ces pages, à travers la force de leurs évocations historiques et littéraires, que de nous le rappeler avec une belle insistance.
Philippe Séguin
Ancien Ministre et Maire d'Epinal
Premier Président de la Cour des Comptes

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