C'est un beau livre qu'Anne-Marie
Quenette, juriste et présidente de la fondation général Bigeard, vient de
consacrer au député de Toul d'avant guerre. Certes, si l'auteure conçoit le
projet de réhabiliter son père, interdit à la Libération, il s'agit d'un projet
bien plus vaste qu'une simple apologie de circonstance. Elle s'intéresse
d'ailleurs à une période beaucoup plus large que la seule époque de
l'Occupation. L'ouvrage s'appuie sur les archives personnelles de Jean Quenette
mais aussi sur une documentation très large. Cette biographie apporte donc une
pierre de poids dans la connaissance de l'administration de Vichy. Après les
travaux de Marc-Olivier Baruch, il était en effet nécessaire de disposer d'un
large panel d'études de cas[1].
Et puis Jean Quenette est un des grands lorrains inconnus célèbres. Il fallait
réparer cette injustice. Ensuite, son cas fait réfléchir.
Jean Quenette fut tour à tour élève
à HEC puis docteur en droit, avocat, député de Toul (élu lors d'une partielle
en 1935, il illustre bien ce glissement à droite perçu en Lorraine lors des
élections de 1932 et fut assez aisément réélu en 1936 malgré le front
Populaire), officier de réserve brillant et courageux de l'artillerie
antiaérienne en 1940 et préfet de Vichy. Protégé par l'entourage du Maréchal Pétain
mais détesté par Laval, il n'hésite pas, dans ses fonctions, à s'opposer aux
Allemands et parfois à sa propre hiérarchie. Il est un de ceux qui donnent
l'idée au gouvernement de l'Etat français de créer des préfets régionaux, poste
qu'il assume en Bretagne (où il doit gérer la question de l'autonomisme breton)
puis en Bourgogne. En réalité, il entre très tôt - quasiment tout de suite - en
résistance. Plusieurs de ses collaborateurs les plus proches seront d'ailleurs
arrêtés puis déportés. Lui-même, membre d'un réseau, demande à être exfiltré à
Londres mais on lui ordonne de rester à sa place où il rend des services
irremplaçables (le renseignement sur les bases sous-marine allemandes est par
exemple vital pour les alliés). Transféré à Dijon, il démissionne finalement au
moment de l'entrée au gouvernement de Philippe Henriot et de Joseph Darnand. Il
passe même dans la clandestinité. car la Gestapo le recherche.
A la Libération, il n'est pas
inquiété. Il est même félicité puis décoré pour son action dans la Résistance. Mais
il a voté les pleins pouvoirs à Pétain en 1940. Le chapitre sur cette question
est d'ailleurs un des plus réussi puisqu'il fait voler en éclat le mythe des 80
(le fait d'avoir voter pour ou contre ne préjuge pas de la conduite ultérieure
des dits parlementaires) et décrit particulièrement bien les manœuvres et les
menaces de Laval qui font définitivement douter des bases légales initiales de
Vichy... Bon républicain, Quenette a cru en la légitimité du régime et a eu le
sentiment qu'il devait rester faire son devoir ici. D'ailleurs, lorsque Pétain
l'a nommé préfet, il était toujours sous l'uniforme et c'était un ordre
impératif ! Voilà donc le cas quasiment unique d'un résistant interdit de se
présenter aux élections. D'autres et, des hommes politiques importants de la IVe
République, l'ont aussi été mais ils ont fait appel de cette interdiction et
ont pu poursuivre une carrière politique brillante. Jean Quenette lui s'y
refuse car il considère cette condamnation comme illégale. Il reprend donc une
carrière civile au sein de l'ancêtre de la FNSEA puis du groupe Shell. Après sa
retraite en 1967, il profite des lois d'amnistie et se relance en politique
pour le compte du centre démocrate (atlantiste et européen convaincu, il
s'oppose aussi au général De Gaulle sur sa pratique "personnelle" du
pouvoir). Le dernier combat de sa vie le conduit enfin à retrouver le chemin
des prétoires et à s'engager résolument pour l'abolition de la peine de mort
Pour résumer, Jean Quenette fut
quelqu'un de très bien. Mais cela suffit-il ? Alexandre Jardin l'a très bien
montré dans sa douloureuse réflexion sur sa famille. Son grand-père, Jean
Jardin, surnommé le "nain-jaune", fut en effet directeur de cabinet
de Pierre Laval du 20 avril 1942 au 30 octobre 1943, donc aussi durant la rafle
du Vél d'Hiv du 16 juillet 1943[2].
Nécessairement, le préfet régional
Quenette était en relation permanente avec lui. Or, dans la réédition
récente de leur célèbre ouvrage sur Vichy
et les Juifs[3], Robert Paxton et Michaël
Marrus insistent davantage sur le rôle de l'administration qu'à l'époque de la
première publication, la recherche ayant beaucoup progressé entretemps dans ce
domaine. Les deux auteurs pensent même que cette administration a joué un rôle
bien plus important dans la mise en place de la politique antisémite que la
collaboration idéologique. Certes Jean Quenette a freiné autant qu'il a pu la
mise en place concrète de cette politique dans les régions qu'il dirigeait.
Mais rester en fonction revenait aussi à cautionner. Malgré ce qu'on a pu dire plus
haut des conditions de fondation du régime, comment le juriste, l'humaniste et
le républicain n'ont -il pas pu comprendre définitivement que le régime sortait
des rails après la publications des deux statuts des juifs ?
Et c'est là où l'ouvrage d'Alexandre
Jardin est éclairant. C'est justement parce que c'était quelqu'un de bien que,
paradoxalement, il est resté longtemps aveugle, notamment sur le personne du
Maréchal, et qu'il a mis du temps à s'extraire des déterminismes et à rompre
avec la culture de l'obéissance.
Frédéric
Schwindt (CRULH Nancy)
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