dimanche 6 décembre 2015

Anne-Marie Quenette, Jean Quenette. Avocat , député, combattant, préfet-résistant, acteur économique. Un Lorrain dans le XXe siècle, Editions du Quotidien, 2014.




           
C'est un beau livre qu'Anne-Marie Quenette, juriste et présidente de la fondation général Bigeard, vient de consacrer au député de Toul d'avant guerre. Certes, si l'auteure conçoit le projet de réhabiliter son père, interdit à la Libération, il s'agit d'un projet bien plus vaste qu'une simple apologie de circonstance. Elle s'intéresse d'ailleurs à une période beaucoup plus large que la seule époque de l'Occupation. L'ouvrage s'appuie sur les archives personnelles de Jean Quenette mais aussi sur une documentation très large. Cette biographie apporte donc une pierre de poids dans la connaissance de l'administration de Vichy. Après les travaux de Marc-Olivier Baruch, il était en effet nécessaire de disposer d'un large panel d'études de cas[1]. Et puis Jean Quenette est un des grands lorrains inconnus célèbres. Il fallait réparer cette injustice. Ensuite, son cas fait réfléchir.
            Jean Quenette fut tour à tour élève à HEC puis docteur en droit, avocat, député de Toul (élu lors d'une partielle en 1935, il illustre bien ce glissement à droite perçu en Lorraine lors des élections de 1932 et fut assez aisément réélu en 1936 malgré le front Populaire), officier de réserve brillant et courageux de l'artillerie antiaérienne en 1940 et préfet de Vichy. Protégé par l'entourage du Maréchal Pétain mais détesté par Laval, il n'hésite pas, dans ses fonctions, à s'opposer aux Allemands et parfois à sa propre hiérarchie. Il est un de ceux qui donnent l'idée au gouvernement de l'Etat français de créer des préfets régionaux, poste qu'il assume en Bretagne (où il doit gérer la question de l'autonomisme breton) puis en Bourgogne. En réalité, il entre très tôt - quasiment tout de suite - en résistance. Plusieurs de ses collaborateurs les plus proches seront d'ailleurs arrêtés puis déportés. Lui-même, membre d'un réseau, demande à être exfiltré à Londres mais on lui ordonne de rester à sa place où il rend des services irremplaçables (le renseignement sur les bases sous-marine allemandes est par exemple vital pour les alliés). Transféré à Dijon, il démissionne finalement au moment de l'entrée au gouvernement de Philippe Henriot et de Joseph Darnand. Il passe même dans la clandestinité. car la Gestapo le recherche.
            A la Libération, il n'est pas inquiété. Il est même félicité puis décoré pour son action dans la Résistance. Mais il a voté les pleins pouvoirs à Pétain en 1940. Le chapitre sur cette question est d'ailleurs un des plus réussi puisqu'il fait voler en éclat le mythe des 80 (le fait d'avoir voter pour ou contre ne préjuge pas de la conduite ultérieure des dits parlementaires) et décrit particulièrement bien les manœuvres et les menaces de Laval qui font définitivement douter des bases légales initiales de Vichy... Bon républicain, Quenette a cru en la légitimité du régime et a eu le sentiment qu'il devait rester faire son devoir ici. D'ailleurs, lorsque Pétain l'a nommé préfet, il était toujours sous l'uniforme et c'était un ordre impératif ! Voilà donc le cas quasiment unique d'un résistant interdit de se présenter aux élections. D'autres et, des hommes politiques importants de la IVe République, l'ont aussi été mais ils ont fait appel de cette interdiction et ont pu poursuivre une carrière politique brillante. Jean Quenette lui s'y refuse car il considère cette condamnation comme illégale. Il reprend donc une carrière civile au sein de l'ancêtre de la FNSEA puis du groupe Shell. Après sa retraite en 1967, il profite des lois d'amnistie et se relance en politique pour le compte du centre démocrate (atlantiste et européen convaincu, il s'oppose aussi au général De Gaulle sur sa pratique "personnelle" du pouvoir). Le dernier combat de sa vie le conduit enfin à retrouver le chemin des prétoires et à s'engager résolument pour l'abolition de la peine de mort
            Pour résumer, Jean Quenette fut quelqu'un de très bien. Mais cela suffit-il ? Alexandre Jardin l'a très bien montré dans sa douloureuse réflexion sur sa famille. Son grand-père, Jean Jardin, surnommé le "nain-jaune", fut en effet directeur de cabinet de Pierre Laval du 20 avril 1942 au 30 octobre 1943, donc aussi durant la rafle du Vél d'Hiv du 16 juillet 1943[2]. Nécessairement, le préfet régional  Quenette était en relation permanente avec lui. Or, dans la réédition récente de leur célèbre ouvrage sur Vichy et les Juifs[3], Robert Paxton et Michaël Marrus insistent davantage sur le rôle de l'administration qu'à l'époque de la première publication, la recherche ayant beaucoup progressé entretemps dans ce domaine. Les deux auteurs pensent même que cette administration a joué un rôle bien plus important dans la mise en place de la politique antisémite que la collaboration idéologique. Certes Jean Quenette a freiné autant qu'il a pu la mise en place concrète de cette politique dans les régions qu'il dirigeait. Mais rester en fonction revenait aussi à cautionner. Malgré ce qu'on a pu dire plus haut des conditions de fondation du régime, comment le juriste, l'humaniste et le républicain n'ont -il pas pu comprendre définitivement que le régime sortait des rails après la publications des deux statuts des juifs ?
            Et c'est là où l'ouvrage d'Alexandre Jardin est éclairant. C'est justement parce que c'était quelqu'un de bien que, paradoxalement, il est resté longtemps aveugle, notamment sur le personne du Maréchal, et qu'il a mis du temps à s'extraire des déterminismes et à rompre avec la culture de l'obéissance. 

Frédéric Schwindt (CRULH Nancy)



[1] Marc-Olivier Baruch, Servir l'Etat français. L'administration en France de 1940 à 1944. Préface de Jean-Pierre Azéma,  Fayard, Paris, 1997, p.339.
[2] Alexandre Jardin, Des gens très bien, Grasset, 2011.
[3] Michaël R. Marrus & Robert O. Paxton, Vichy et les Juifs, Calmann-Levy, 2015.

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