lundi 18 octobre 2010

Les confréries de tir à l'oiseau et le papegai en Meuse (XVe-XXe siècles)

Chaque année, en mai, les habitants de Mécrin, petit village au sud de Saint-Mihiel, procèdent en grande pompe au papegai (ou papegaï ou papegay) ou tir à l’oiseau. A coup d’arbalète, les tireurs tentent d’abattre un coq posé en haut d’une sorte de mat de cocagne. Le vainqueur est proclamé roi et il sera particulièrement honoré durant l’année entière.
L’origine du Papegai.
Cet usage est très ancien car à la fin du Moyen Age déjà les archers et les arbalétriers de Saint-Mihiel et de Commercy venaient se mesurer à mi-chemin de leurs deux villes lors d’un concours de tir annuel dont le papegai assure aujourd’hui le souvenir. D’ailleurs des villages situés à proximité pratiquaient aussi le tir à l’oiseau : Loxéville, Pont-sur-Meuse et Lérouville. Cette tradition, appelée pappagallo en Italie ou papegaai en néerlandais, est connue dans l’ensemble de la Lorraine mais elle était surtout pratiquée dans les Pays Meusiens et dans une longue écharpe qui court des Ardennes jusqu’à l’Est de la Moselle en passant par le Pays Haut. Comme à Mécrin, il dérive, après de nombreuses transformations, des compagnies de tir créées au Moyen Age pour armer les milices urbaines et ils témoignent parfois d’une certaine émancipation du pouvoir seigneurial.
Les anciennes zones frontières.
Si on se limite à l’actuel département de la Meuse, ces compagnies sont, pour une raison évidente, particulièrement nombreuses dans les capitales et les places-fortes (Bar, Verdun) mais aussi à la campagne dans les zones frontières, par exemple aux limites de l’évêché de Verdun et du Barrois ou autours des anciennes principautés : châtellenie de Vaucouleurs, comté de Ligny, principauté de Commercy dans le sud et pays de Marville au nord. Le duc de la Trémoille qui avait tenté d’annexer le comté de Ligny pour le roi Louis XI au XVe siècle avait immédiatement créé une telle compagnie afin d’assurer la police dans la ville mais aussi pour se concilier les notables soucieux du prestige que confère l’admission dans la société de tir. Dans les processions des corps de métier, les archers étaient en effet en bonne position.
Réorganisation à la Renaissance.
A la Renaissance, ces groupes sont réorganises par le pouvoir qui impose règlements et ordonnances. On leur reconnaît le droit de s’entraîner et la possession de leur butte (au bas des remparts à Bar, sur la Roche non loin de la cathédrale à Verdun) mais le contrôle du prince se renforce sur le fonctionnement quotidien. En 1617, à Verdun, le gouverneur français leur interdit par exemple de défiler avec des bannières parées de l’aigle impériale. Au XVIe siècle, Bar et Verdun ont subi des tentatives de coup de force huguenot, occasion durant laquelle les compagnies d’archers ont retrouvé une utilité militaire. Mais, par peur qu’elles soient infiltrées par des protestants, on met en place diverses procédures de contrôle. Le nouveau membre doit ainsi faire profession de foi catholique. L’association conserve pourtant des traces de pratiques antérieures notamment une initiation et un baptême au vin assez peu orthodoxes. Autour d’Etain et de Bar-le-Duc, l’ensemble des groupes de tir sont enfin rassemblés et fédérés en une seule et même organisation. A Verdun, la société de tir se mue en revanche en une véritable milice urbaine, organisée par quartier et chargée non pas de défendre la cité des menaces extérieures mais de surveiller les pauvres…
Du tir à la peste.
Traditionnellement, ces confréries de tir sont vouées à un saint dont la « geste » est liée au tir, Sébastien transpercé de flèches, ou au feu à partir du moment où les arquebuses remplacent les carreaux d’arbalète. Sainte-Barbe, également patronne des artilleurs, intervient donc aussi. Mais depuis l’Iliade, la flèche est assimilée à l’épidémie et le feu à la contagion qui dévore les corps. Les compagnies de tir prennent donc après 1348 ou plus tard lors de la guerre de Trente ans, un caractère prophylactique. Elles doivent protéger autant les habitants de la peste que de l’invasion ennemie (la menace peut d’ailleurs être la loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat en 1905 ou l’attaque allemande de 1914). Saint-Roch et toute une série de thaumaturges sont alors intégrés de même que des saints locaux comme Saint-Abdon censés auparavant écarter les orages et les incendies.
Des associations multifonctions.
Avec la perte de leur caractère militaire, les anciennes compagnies d’archers se muent au XVIIe et surtout au XVIIIe siècle en sociétés de dévotion qui adoptent les modes religieuses du moment, par exemple le culte du Saint-Sacrement. Au siècle des Lumières, elles deviennent même parfois des sociétés d’assurance mutuelle dans le domaine funéraires. A la Révolution, elles perdent leurs biens et notamment leurs maisons (celle de la compagnie de Verdun se trouvait à proximité de l’actuelle rue Mautroté) mais arrivent dans de nombreux cas à se reconstituer au cours du XIXe siècle sous la forme du papegai.

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